Je reposte cet article initialement posté le 18 mars 2014 qui donne un éclairage intéressant sur les évènements actuels
La crise internationale déclenchée par l’incursion militaire de Vladimir Poutine, en Crimée donne l’occasion de jeter un regard neuf sur la relation entre la Russie et les Juifs.Pour justifier son intervention, le président russe a insisté en priorité sur le nationalisme et l’antisémitisme qui sévissent en Ukraine.
J’ai expérimenté personnellement l’antisémitisme sauvage qui régnait dans cette région lors de mes négociations directes avec les autorités soviétiques au cours de la campagne visant à libérer la communauté juive soviétique, l’un des sujets centraux de ma vie politique pendant des années. Je n’ai pas le moindre doute qu’en Ukraine comme en Russie, une proportion substantielle de la population continue de haïr et de craindre les Juifs.
Aussi, il est aujourd’hui presque surréaliste, surtout quand on se souvient de la contribution majeure des dissidents juifs soviétiques à la chute de l’empire du mal, d’observer Poutine, le personnage autoritaire, l’ancien responsable du KGB, qui affiche une amitié sans complexes pour les Juifs et Israël.
Il ne s’agit pas d’une méprise. Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont des démocraties. Mais sur une échelle relative, la corruption et la xénophobie qui dominent actuellement l’Ukraine sont beaucoup plus accusées qu’en Russie où Poutine à réprimé les antisémites et a adressé de nombreux signes d’amitié en direction de la communauté juive. Il a consenti par exemple à un financement public de 50 millions de dollars pour un Musée du judaïsme et de la tolérance à Moscou, et il a ajouté à cette somme sa propre contribution personnelle d’un mois de salaire. Ce faisant il a manifesté une indifférence totale au spectacle de la rage des puissantes forces antisémites de la société russe. Poutine est un nationaliste, et sa première motivation et de restaurer la Russie comme puissance mondiale. C’est ce qui l’a poussé à intervenir en Géorgie et à présent en Ukraine devant ce qu’il a interprété comme une menace d’intrusion de l’OTAN dans sa zone d’influence, sur sa frontière. Les Russes comparent cette réaction à la réponse du président américain John Fitzgerald Kennedy en 1962 à la tentative de Nikita Khrouchtchev d’introduire des missiles à Cuba.
L’Ukraine, comme la Russie, a une longue histoire d’antisémitisme violent qui remonte aux pogroms de Khmelnytsky en 1648; elle s’est poursuivie avec l’accusation de meurtre rituel contre Menahem Mendel Beilis(*)- qui est encore justifiée pour de nombreux ukrainiens,-et la guerre civile russe où des dizaines de milliers de Juifs furent massacrés.
L’actuelle communauté juive ukrainienne, évaluée à 200 000 personnes, a de bonnes raisons d’avoir peur. Depuis qu’elle a obtenu son indépendance en 1991, l’Ukraine a permis à des partis de droite xénophobes de se multiplier comme des champignons. Ce sont eux qui ont servi de fers de lance de la révolte contre la corruption du président Victor Yanoukovich. Bien qu’ils ne représentent que 10 % du corps électoral, ce sont d’authentiques néonazis qui arborent souvent le symbole de la croix gammée, et qui expriment ouvertement leur antisémitisme. Les différents gouvernements ukrainiens ont fermé les yeux sur leurs activités extrémistes et n’ont pas levé le petit doigt pour les traduire en justice.
Oleh Tyahnybok, le chef de Svoboda, la fraction d’extrême droite nationaliste la plus importante qui a obtenu 37 sièges au gouvernement, a appelé à la libération de l’Ukraine des griffes de la « mafia judéo-moscovite » et qualifié ses adversaires de «sales juifs». Son numéro 2, Yuri Michalchyshyn, a fondé un think tank dont le nom était initialement celui de Centre de Recherche politique Joseph Goebbels.
Les activistes de ce parti font circuler des traductions de Mein Kampf et des « Protocoles des Sages de Sion. » Ils ont pour héros Stepan Bandera, un allié de toujours de l’Allemagne nazie dont les troupes tuèrent des dizaines de milliers de Juifs. Ils affichent leur antisémitisme, avec à leur actif des profanations de synagogues et des actes de violence brutale contre des Juifs. Pour se donner une image de modérée, Dmytro Yarosh, le chef de l’organisation ultranationaliste Secteur Droit, l’actuel adjoint du directeur du Conseil de sécurité d’Ukraine, candidat à la présidence, a tenté de se démarquer des courants antisémites. Il a même ouvert une ligne téléphonique directe avec ambassadeur d’Israël à Kiev. Mais, Yaroch, un expert renommé des bombes incendiaires, a bien fait savoir qu’il n’avait pas l’intention de dissoudre ses unités paramilitaires en uniforme noir.
Sans surprise, Poutine à exploité l’idéologie de ces groupes ukrainiens fascistes antisémites pour discréditer le nouveau gouvernement. Par contre, de nombreux oligarques juifs ukrainiens et Vaad, le conseil représentatif des organisations juives, ont souligné avec insistance que l’antisémitisme ne posait pas de problème, qualifiant Poutine de menteur. L’un des «rabbins en chef,» Rabbi Yaacov Bleich, qui appartient à la lignée de Hassid Karlin-Stolin de New-York, a même accusé les Russes de se déguiser en nationalistes ukrainiens pour commettre des provocations antisémites. Hanté par ce qui pourrait arriver, Bleich a sous-estimé aussi l’influence des partis antisémites dans le nouveau gouvernement, affirmant qu’il avait reçu des assurances sur la protection de la sécurité des Juifs.
Les Juifs qui s’impliquent dans la politique d’un pays instable, dont les gouvernements successifs ont laissé faire les groupes nationalistes antisémites, jouent avec le feu. Le grand rabbin Loubavitch Moshe Reuven Azman, à donné un conseil avisé en préconisant à sa communauté de quitter le pays, même si à la suite de fortes pressions il a été obligé de déclarer devant les médias qu’il « n’avait pas eu connaissance d’un acte antisémite quelconque depuis la chute de Yanoukovich. »
En dépit des pressions exercées par l’administration Obama pour qu’il condamne la Russie, Israël a agi conformément à ses intérêts en évitant toute prise de position.
Bien avant sa confrontation avec les États-Unis, Poutine avait indiqué qu’il respectait les Juifs et il avait fait de grands efforts pour afficher son amitié pour Israël. Il a effectué déjà deux visites d’État à Jérusalem, la plus récente juste après sa réélection en juin 2012. Il a exprimé à maintes reprises sa fierté que d’anciens citoyens russes constituent le groupe d’immigrants le plus important d’Israël. Il s’est rendu au Kotel, avec une kippa, risquant de voir ses prédécesseurs bolcheviques se retourner dans leur tombe. Il semblait complètement indifférent à l’outrage que pourraient ressentir à ce spectacle les groupes islamiques d’Israël et de l’étranger.
Cela ne signifie pas que Poutine soit philosémite. C’est avant tout un nationaliste russe. Poutine n’est pas non plus un allié. Il a fourni des armes meurtrières à des forces qui recherchent notre destruction, et l’Iran et la Syrie le considèrent comme un allié. Il est aussi beaucoup plus réaliste que le président américain Barak Obama. Il ne se fait aucune illusion sur le fondamentalisme islamique qui représente une véritable menace pour son pays. Il doit aussi être préoccupé par les répercussions sur la Russie d’un Iran devenu une puissance nucléaire. En conséquence de sa politique étrangère désastreuse, Obama a désormais pavé la voie d’un retour de la Russie au Moyen-Orient, dans une position encore plus dominante qu’elle n’était au sommet de la Guerre froide. Le soutien de l’Amérique aux Frères musulmans leur a même aliéné l’Égypte qui semble désormais avoir aussi rejoint le camp russe. A la différence d’Obama à qui les partenaires de l’Amérique ont retiré leur confiance, Poutine a démontré son aptitude à tenir ses engagements à l’égard de ses alliés.
C’est ainsi qu’en dépit de l’actuel soutien de la Russie à l’Iran et à la Syrie, nos dirigeants communiquent avec Poutine de façon régulière, et cherchent à le convaincre que les pays dirigés par des islamistes radicaux sont aussi une menace pour la Russie.
Il a 30 ans, je n’aurai jamais imaginé être un jour partisan de l’établissement de relations étroites entre Israël et la Russie. Nous nous restons très largement dépendants du soutien des États-Unis et par-dessus tout nous apprécions notre alliance et notre partage des valeurs démocratiques avec le peuple américain. Mais nous sommes aussi obligés de développer des relations avec des pays autoritaires et non démocratiques comme la Chine. Il est clairement dans notre intérêt national, sans succomber à des illusions idéalistes, de nouer des liens avec une Russie dont les chefs semblent avoir radicalement rompu avec des siècles d’antisémitisme tsariste et bolchevique, et qui font preuve maintenant d’amitié envers le peuple juif.
(*) NdT: Beilis était un juif ukrainien, ancien soldat et père de cinq enfants, accusé en 1911 d’avoir tué un jeune garçon de treize ans. Il sera acquitté au terme d’un procès qui servit de prétexte à d’intenses campagnes antisémites.
Article très intéressant.
Merci Haïm pour ce partage.
Vraiment intéressant, merci !