Dans son éditorial du 12 avril 2015, publié dans le quotidien jordanien Al-Dustour, le choniqueur Maher Abu Tair accuse les pays arabes d’avoir tourné le dos à la Jordanie et de l’avoir abandonnée. Selon Abu Tair, la Jordanie a été ainsi poussée à se réfugier dans le giron d’Israël, dont elle est devenue totalement dépendante, tant sur le plan économique que politique.
Il évoque également le caractère inconsistant de la politique étrangère de la Jordanie, qui selon lui découle de ses relations instables avec les voisins, et appelle à trouver une alternative au soutien d’Israël.
Extraits :
Il est vraiment triste que la Jordanie se soit tellement affaiblie, au point de s’être totalement jetée dans le giron d’Israël, au détriment du sentiment populaire et [aux dépens de] son honneur… C’est la malheureuse réalité, et quiconque suit les événements peut constater la fuite en avant de la Jordanie en direction d’Israël et l’imbrication de leurs intérêts politiques et économiques. Comme si la Jordanie disait l’une des deux choses suivantes : que toutes les portes arabes lui sont fermées, ou bien qu’Israël est son allié le plus sûr et son seul refuge dans la région. Ou alors, peut-être les premiers pousseraient-ils la Jordanie vers le dernier ?
La Jordanie s’est tellement affaiblie qu’elle dépend totalement d’Israël ; ainsi Israël nous vendra le gaz naturel palestinien [qu’il a] volé, comme alternative au gaz naturel égyptien qui [nous] est refusé par les moudjahidines du désert [du Sinaï]. [Dans ce contexte également, la Jordanie et Israël se sont mis d’accord sur] le projet ambitieux du canal des Deux Mers et l’aéroport d’Aqaba [l’aéroport au nom d’Ilan et Assaf Ramon qu’Israël construit près d’Eilat]. Dans le passé, la Jordanie avait menacé de s’opposer à [la construction de l’aéroport israélien] mais elle a aujourd’hui retiré ses objections, à condition que les décollages et les atterrissages soient coordonnés [avec l’aéroport d’Aqaba]…
La vérité nue est que la Jordanie n’a plus d’alliés arabes, et qu’à présent, son seul allié contre l’ensemble de l’Orient arabe est Israël. Si les Arabes avaient voulu une Jordanie forte qui ne se jette pas dans aux pieds d’Israël, ils ne l’auraient pas abandonnée sur le plan économique ou assiégée sur le plan politique, à tel point que sa politique étrangère est devenue inconstante. [Aujourd’hui] nous partons nous coucher en soutenant Téhéran et nous réveillons en nous opposant à Téhéran au Yémen.[1] En d’autres occasions, nous nous opposons à Istanbul et défendons Téhéran. Nous allons nous coucher avec [l’Autorité palestinienne à] Ramallah mais nous nous réveillons avec le Hamas…
Nos relations avec nos voisins arabes et islamiques sont aujourd’hui fondées sur des paramètres variables, tandis que celles avec Israël reposent sur des paramètres constants. Les relations avec Israël s’inscrivent sur le long terme et revêtent actuellement un nouveau visage, plus amical, en termes d’économie, d’agriculture et de coordination à tous les niveaux. C’est comme si la Jordanie disait qu’elle sait qui détient la clé secrète des portes régionales et qu’elle se tourne directement vers ceux qui détiennent les clés qui garantissent son existence, à savoir Israël.
Cette interdépendance entre Israël et l’existence de la Jordanie est dangereuse et lourde en surprises [désagréables]. Nous ne pouvons pas nous ne remettre, même si certains à Aman sont d’avis que nos relations avec Israël peuvent nous fournir une protection contre la trahison de Washington et des Arabes.
Aujourd’hui, plus que jamais au cours de l’histoire de la Jordanie, les relations avec Israël sont ouvertes, à tous les niveaux. Il y a certes de nombreuses raisons à cela, mais nous devons trouver une formule différente pour protéger notre existence. Car même si tous les éléments autour de nous sont instables et dangereux, et même si Aman a le sentiment instinctif qu’Israël reste sa seule option, nous devons trouver une autre solution pour garantir notre existence sans concéder à en payer le prix à Israël…
Il est affligeant de constater que la seule option actuelle de la Jordanie se trouve dans [le pays] situé à l’Ouest du pays [à savoir Israël]. Nous ignorons qui incriminer [pour cela]. Peut-être sommes-nous les premiers coupables, puisque nous l’avons souhaité, en dépit de nos objections affichées ? Ou bien la [conjoncture est-elle coupable], parce que les Arabes ne nous ont pas laissé d’autre option, ou parce que l’histoire récente est pleine de dangers et de tourmentes, ce qui nous contraint à nous défendre, même au prix d’un accord avec le diable ? Le débat est ouvert. »
Par Memri – JSSNews
Note :
[1] Au cours des semaines qui ont précédé l’opération Tempête décisive au Yémen, la Jordanie et l’Iran se sont rapprochés, après huit ans de relations interrompues. Cela s’est manifesté par la visite du ministre des Affaires étrangères jordanien à Téhéran ; les vœux du roi Abdallah de Jordanie au dirigeant iranien Khamenei et au président Rohani à l’occasion du Norouz [Nouvel an perse] ; des articles dans la presse jordanienne appelant à améliorer les relations avec l’Iran et par l’annonce du ministre du Tourisme jordanien selon laquelle les touristes iraniens seraient autorisés à visiter la Jordanie, en dépit des restrictions officiellement en vigueur. Toutefois, le 26 mars 2015, immédiatement après le lancement de l’opération Tempête décisive, la Jordanie s’est alignée sur l’Arabie saoudite et a annoncé qu’elle soutenait l’opération et qu’elle faisait partie de la coalition arabe combattant les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen.