L’Histoire politique et militaire d’Israël n’est pas exempte d’erreurs d’analyse ou d’initiatives politiques aventureuses. C’est inhérent à la vie de n’importe quel Etat mais lorsqu’il s’agit d’un Etat comme Israël qui lutte pour sa survie et où chaque décision peut être cruciale, c’est grave. On peut cependant chercher à la loupe le nombre de responsables ayant reconnu s’être trompés et avoir ouvert les yeux après avoir « cru que » ou « espéré que ». Ce manque d’honnêteté intellectuelle est parfois doublé d’une grande indécence lorsque ces mêmes responsables ou anciens responsables persistent dans leur erreur ou se mettent à donner des leçons à ceux qui sont au pouvoir par le bais des urnes.
A quelques jours d’un scrutin aux enjeux lourds, une gigantesque offensive est venue se rajouter à celle qui sévit déjà depuis des semaines et qui entend remettre la gauche israélienne au pouvoir. Quiconque se promène ces jours-ci dans les rues ou sur les réseaux sociaux ne peut être que frappé par la présence soudaine et massive d’affiches ou de messages émanant de deux organisations d’anciens responsables sécuritaires : le Mouvement des Officiers en faveur de la Sécurité d’Israël et le Groupe des Spécialistes pour la Paix et la Sécurité (Peace and Security Association). Cette dernière n’est que la nouvelle peau du Conseil pour la Paix et la Sécurité, officine du parti travailliste composée d’anciens diplomates, officiers et responsables sécuritaires. Interviewé à la télévision, l’un d’eux a refusé de révéler qui finançait cette campagne jumelée, ce qui veut tout dire.
Le message matraqué par ces prestigieux gradés se résume à quatre idées : Benyamin Netanyahou a échoué dans sa politique face au terrorisme, il a porté atteinte à la sécurité d’Israël sur la question iranienne, il est un obstacle à la paix entre Israël et le monde arabe et il a détruit les relations israélo-américaines. Leur solution est limpide même si elle est enrobée de termes flous : pour résoudre ces problèmes, Israël doit « lancer une initiative diplomatique en direction des Palestiniens et du monde arabe » nom de code pour désigner un retrait de Judée et de Samarie, l’expulsion de dizaines de milliers de Juifs et la création d’un Etat terroriste au cœur d’Israël.
Je ne suis ni général ni ancien général. Mais j’ai un tant soit peu de bon sens. Même sans entrer dans la question des droits historiques et religieux du peuple juif sur ce pays, quelque chose me dit que la situation géopolitique d’Israël n’est pas celle de la Suisse, et que la dernière des choses à faire aujourd’hui serait de créer un Etat palestinien entre la région de Tel-Aviv et le Jourdain ! Le Hamas au sud-ouest, les groupes djihadistes le long de la frontière israélo-égyptienne, le Hezbollah au nord et l’Iran bientôt sur le versant syrien du Golan, il faut être irresponsable ou dans le meilleur des cas aveugle pour prôner la création d’un nouveau front de terreur islamique à l’est du pays. Et pas n’importe lequel. A peine un nouvel Etat arabe créé sur le flanc oriental d’Israël, le Hamas ou même Da’ech s’inviteraient à la fête.
Mais alors, comment se fait-il que d’aussi prestigieux militaires, expérimentés et décorés, jouissant d’une aura méritée, puissent ainsi proposer des solutions aussi irréalistes et dangereuses ? Tout simplement parce que tout généraux ou anciens directeurs du Mossad qu’ils soient ils peuvent lourdement se tromper dans leur analyse, en voici quelques exemples :
Tous ces « ex- » qui envahissent aujourd’hui notre espace public et médiatique se sont par exemple trompés à la veille de la Guerre de Kippour en 1973, ils se sont trompés en 1981 en s’opposant à Begin sur la destruction de la centrale nucléaire d’Osirak, ils se sont encore trompés en 1993 en soutenant les accords d’Oslo et promettant un avenir de paix et de tranquillité, ils se sont aussi trompés depuis plusieurs décennies en appelant à un retrait israélien du Golan, ils se sont encore trompés en 1999 en encourageant la sortie précipitée de Tsahal du sud-Liban, ils se sont fourvoyés en 2005 en soutenant le désengagement de Gaza, catalyseur de trois guerres successives depuis lors, et ils se sont trompés en 2011 en garantissant la solidité du régime de Hosni Moubarak quelques jours à peine avant son éviction-éclair.
Ils ont beau avoir servi dans les meilleurs unités, occupé les postes les plus élevés dans la hiérarchie de l’armée ou du Renseignement, leur idéologie consumériste a pris le dessus sur leur clairvoyance et ils se font aujourd’hui les apôtres de solutions-catastrophes pour l’Etat d’Israël. Leur action est d’autant plus sournoise qu’ils nient toute intention politique alors que la teneur de leurs accusations, leurs propositions et surtout le timing de leur apparition ne laisse planer aucun doute.
Cette suffisance qu’arborent aujourd’hui ces anciens généraux et diplomates se rattache directement aux propos nauséabonds anti-orientaux tenus lors du rassemblement de gauche à Tel-Aviv samedi soir dernier : il y a l’élite, ceux qui savent, qui habitent la région de Tel-Aviv, qui méritent d’être au pouvoir, et puis il y a les autres.
Le journaliste de la chaîne Aroutz 10, Raviv Drucker très peu suspect d’affection pour Binyamin Netanyahou a avoué mercredi soir que le Premier ministre avait raison sur un point : des millions de shekels sont investis par divers groupes d’intérêts dans cette campagne pour lui faire perdre le pouvoir. Et ces anciens officiers font partie de cette entreprise.
Les héros sont bien fatigués…
Shraga Blum est un journaliste indépendant qui contribue à l’hebdomadaire « P’tit Hebdo » et un analyste politique pour plusieurs sites internet en français.