Les textes relatent que ce sont bien les Romains qui ont détruit le Temple, mais ils soulignent que ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont causé leur perte
Il y a une semaine, a débuté, dans le calendrier hébraïque, la période la plus sombre de l’année. Elle est appelée « les trois semaines » et précède la journée du « Ticha Beav », une journée de jeûne et de deuil national commémorant la destruction du Temple de Jérusalem, il y a près de 2000 ans. Une journée marquant, donc, la fin de la souveraineté juive sur la Terre d’Israël et le début d’un long exil du peuple juif à travers le monde.
Les textes talmudiques relatent que ce sont bien les Romains qui ont détruit le Temple, mais ils soulignent que ce sont les Juifs eux-mêmes qui ont causé leur propre perte. Ces textes, qui sont d’ailleurs étudiés par les passionnés de Talmud ces jours-ci, détaillent aussi les causes de cette perte de souveraineté. Ils soulignent qu’à l’époque, la haine était omniprésente dans la société juive. Le Talmud parle de « haine gratuite », qui s’exprimait sans aucune raison apparente et qui se traduisait dans les actes : ainsi, les Juifs de Jérusalem combattaient l’occupant romain durant le jour, mais la nuit, ils se battaient entre eux, les uns contre les autres, les zélotes contre les plus « modérés ». Jusqu’à l’issue tragique de la Destruction du Temple en l’an 70 de l’ère chrétienne.
Chaque année, en plein été, cette période des « trois semaines » est appréhendée par de nombreux juifs, respectueux de la tradition ou non. Beaucoup se demandent comment des Juifs ont-ils pu alors s’entretuer et s’autodétruire ? Comment ont-ils pu se haïr au point de sacrifier leur souveraineté nationale pour laisser libre cours à la haine de leurs frères parce que ces derniers ne partageaient pas la même idéologie. Et enfin, comment ces juifs ont-ils pu être assez naïfs pour faire, en tous points, le jeu de l’ennemi romain ? Ce questionnement devrait n’être que théorique : « De l’histoire ancienne », diront certains.
Mais la période que traverse actuellement l’Etat d’Israël est loin d’être ordinaire. Le véritable tremblement de terre qui secoue la société autour de la réforme judiciaire est sans précédent. Et il effraie par son amplitude, à tel point que beaucoup considèrent que l’Etat hébreu est actuellement en train de vivre un remake des événements dramatiques d’il y a deux millénaires !
De facto, la haine, gratuite ou non, est partout: dans les propos effrayants d’Ehud Barak en faveur d’une rébellion civile ; dans la sémantique des organisateurs de la protestation « anti-réforme » qui assimilent leur mouvement à une campagne militaire ; dans les propos offensants de certains ministres et députés de la coalition ; dans les insultes des jeunes des collines envers des officiers de Tsahal ; dans les actes de vandalisme dirigés contre la population civile palestinienne à la suite de l’attentat d’Eli ; dans la stigmatisation du public orthodoxe ; dans la dénonciation des hassidim Loubavitch. Eh oui ! cette haine s’exprime dans tous les secteurs de la société israélienne, y compris chez ceux qui se disent « tolérants et humanistes ».
Alors bien sur comparaison n’est pas raison. L’Histoire ne se répète jamais de la même manière. Mais la ressemblance est frappante. Et au lendemain de la démonstration de force des « anti-réforme », ce mardi, lors de la « journée de perturbation nationale », certains commentateurs n’ont pas hésité pas à parler de « confrontation inévitable », de « prélude à une guerre civile », de « TGV qui foncent l’un vers l’autre » ! D’autres, comme le célèbre professeur Youval Noah Harari, sont même allés jusqu’à affirmer que « l’Etat d’Israël tel que nous l’avons connu est mort ». Le leadership politique se tait ou, au mieux, campe sur ses positions. Les rabbins, comme à l’époque du Second Temple, demeurent étrangement silencieux. Les médias, toujours en quête d’audimat, préfèrent attiser le feu de la discorde plutôt que de calmer les esprits. Quitte à faillir à leur mission.
Alors, dans cette période où tous parlent de « clause de raisonnabilité » sans savoir précisément de quoi il s’agit, il est grand temps de revenir à plus de « raisonnabilité », à plus de responsabilité individuelle et collective. « Là où il n’y a pas d’homme, efforce toi d’en être un », disent les Sages Juifs. Ce message s’adresse à tous les êtres de bonne volonté qui, sincèrement, veulent le bien d’Israël : inspirons-nous de la période qui a précédé la destruction du Temple pour ne pas commettre, à nouveau, des erreurs tragiques. Essayons de tirer les leçons de l’Histoire, de crainte de mettre en péril notre propre avenir. Essayons de faire taire les radicaux et les extrêmes pour faire entendre la voix des plus « raisonnables », des plus modérés de tous les camps. Essayons de trouver le petit dénominateur commun qui nous permettra de continuer à vivre ensemble, dans ce pays. Essayons, une fois de plus, le dialogue apaisé. S’il repose sur une réelle bonne volonté, il pourra générer une solution et préserver l’Etat Juif du sort tragique qui a été le sien, il y a 2000 ans. Et enfin, essayons, comme le disait le premier grand rabbin d’Israël, Avraham Kook, de remplacer la haine gratuite par l’amour gratuit, et le mépris par un respect et une tolérance mutuelle et désintéressée… Avant qu’il ne soit trop tard!