Dans les kibboutz meurtris d’Israël, il faut « trouver une autre manière de vivre »
Nombre de kibboutzniks, s’estimant trahis par les Palestiniens de Gaza, rejoignent désormais l’écrasante majorité de l’opinion israélienne, favorable à une intervention, qu’importe son coût humain
La terreur était palpable dans le kibboutz de Shaar Hagolan lorsqu’ont hurlé les sirènes : pour ses habitants, les déplacés du sud d’Israël traumatisés par les massacres sans précédent commis par une horde de plusieurs milliers de terroristes du Hamas et aussi ceux de la frontière nord qui craignent un assaut du Hezbollah.
Jusqu’à mercredi 11 octobre au soir, dans cette communauté située à quelques centaines de mètres de la Jordanie, aucune alarme n’avait sonné depuis des décennies. Ses 500 résidents, auxquels de nombreux arrivants se sont ajoutés depuis le 7 octobre, tremblent tous ou presque.
Les 270 autres kibboutz d’Israël, ces villages agricoles collectivistes qui dessinent pour une bonne part les frontières actuelles du pays avec ses voisins arabes, sont tout autant aux abois.
Vardit, 34 ans, a passé le 7 octobre dans un abri, avec son mari et leurs quatre enfants, à « essayer de les occuper » pendant que des tirs incessants éclataient à l’extérieur, l’alarme résonnant « 60 à 80 fois ». Des terroristes du Hamas avaient attaqué son village de Netivot à partir de la bande de Gaza, à moins de dix kilomètres de la langue de terre palestinienne.
« Je n’ai plus de copains, plus de profs. Ils sont tous morts »
Alors que les sirènes retentissaient pour une intrusion aérienne – finalement non advenue – depuis le Liban, la trentenaire a descendu lentement l’escalier menant au bunker de Shaar Hagolan, son benjamin dans les bras. Durant de longues minutes, une équipe de l’AFP l’a vue figée debout au sous-sol, le regard fixe.
La cinquantaine d’Israéliens venus du sud pour se réfugier est dévastée, remarque Gali Dror, une cadre de Shaar Hagolan. « Ils ne parlent pas, ils ne sortent pas (…) Ils mangent à peine », se désole-t-elle. « Un enfant m’a dit : ‘Je n’ai plus de copains, plus de profs. Ils sont tous morts.’ »
La centaine de déplacés du nord, également accueillie dans son kibboutz, n’a pas vécu l’attaque du Hamas, qui a fait plus de 1 400 morts dans le sud d’Israël, très largement des civils, et au moins 200 otages. Mais tous ont quitté leurs maisons par crainte d’une offensive du Hezbollah libanais, les incidents frontaliers s’étant multipliés à la frontière.
« Quand je m’assieds hors de chez moi, j’entends le muezzin au Liban », observe une psychothérapeute rencontrée à Shaar Hagolan, qui demande à témoigner sous le pseudonyme de Sarah et à ne pas indiquer son lieu d’habitation. « Dans mon jardin, j’ai parfois l’impression qu’on m’observe. »
« Le Liban est à deux kilomètres de chez moi, comme Kfar Aza (…) était à deux kilomètres de Gaza », poursuit-elle, en référence à un kibboutz du sud du pays où au moins 100 personnes ont été massacrées. « Dans ma tête, le cauchemar peut facilement se produire là où j’habite », observe cette mère de deux jeunes adolescents, « terrifiée ».
Car l’attaque du Hamas a montré aux kibboutzim leur extrême vulnérabilité en cas d’assaut massif. « Quelques gars armés » protègent celui de Sarah et des assaillants aguerris peuvent donc y entrer en un claquement de doigts, s’effraie-t-elle, en joignant le geste à la parole.
Betty Garti, 75 ans, qui vit à Kfar Guiladi, à la frontière libanaise, affirme à l’inverse ne pas avoir peur. Mais elle se souvient avoir hésité en 1980 entre ce kibboutz verdoyant et celui de Beeri, dans le sud, où « c’était du sable ».
« Je préférais le vert. Et heureusement, avec ce qui s’est passé là-bas », soupire-t-elle. Lors de l’attaque du groupe terroriste islamiste palestinien, une centaine d’habitants a également été décimée à Beeri.
Mme Dror rapporte qu’un bus, dans lequel des dizaines d’habitants de Kfar Aza étaient montés dimanche pour se rendre à Shaar Hagolan, a été pris pour cible par des meurtriers du Hamas, qui l’ont fait exploser.
« Ils ne sont jamais arrivés », sanglote-t-elle, disant avoir reçu l’information d’une vieille dame de sa connaissance, tuée après au moins neuf heures passées dans un abri.
Des bastions de la gauche
Les kibboutzim, créés par des Juifs européens sionistes venus s’installer en Palestine ottomane, puis sous mandat britannique, et après la proclamation de l’État d’Israël en 1948, ont pendant des décennies été des coopératives agricoles fonctionnant dans un système égalitariste. Malgré un virage plus libéral au début du XXIe siècle, ces communautés peu armées et proches de la nature restent des bastions de la gauche israélienne, favorables à la paix et généralement hostiles aux implantations israéliennes en Cisjordanie.
Depuis le carnage du Hamas, nombre de kibboutzniks, s’estimant trahis par les Palestiniens de Gaza, rejoignent désormais l’écrasante majorité de l’opinion publique israélienne, favorable à une intervention israélienne. Qu’importe son coût humain.
Mme Dror, qui se dit « militante pour la paix », est devenue belliciste. Les kibboutz, « en crise », devront se réinventer, assure-t-elle, leurs faiblesses sécuritaires ayant éclaté au grand jour.
Car des « fous » peuvent attaquer depuis n’importe quel voisin d’Israël, s’inquiète-t-elle. « Nous devons trouver une nouvelle manière de vivre. »