Les faits sont têtus. Ce qui vient de se produire à Lampedusa, avec l’arrivée de 7000 migrants, surtout des hommes, fait sauter le tabou de l’immigration maintenu depuis des décennies par les gouvernants et les médias aux ordres.
Nul ne peut contester que cette submersion est une réalité tangible et non un ressenti, puisque le nombre d’arrivants à Lampedusa dépasse le nombre d’habitants de l’île. Les gouvernements de l’UE sont dépassés et incapables de se coordonner.
La référence aux droits humains et à la libre circulation des personnes est constamment invoquée selon un langage convenu pour camoufler l’absence de volonté politique – à gauche comme à droite – face aux flux illégaux de migrants dans les pays européens et à la montée de la criminalité qui croît en même temps que le nombre.
La réelle menace sécuritaire avec les faits de délinquance et d’attentats, la perte progressive d’identité culturelle et spirituelle de l’occident, ne peut pas faire oublier l’absurdité de la transplantation organisée de jeunes Africains ou Asiatiques hors de leur propre environnement social et culturel. Porter secours aux plus démunis au nom des droits de l’homme ou au nom de principes spirituels est honorable, mais cela suppose un minimum de maîtrise.
Les consciences humanistes sont à juste titre interpellées par les recommandations des instances internationales reconnaissant la détresse des vrais réfugiés réellement menacés dans leur pays par la guerre, les violences ou la persécution religieuse. Mais il apparaît que le système de transbordement mis en place par les passeurs et les ONG ne sert pas la cause de réfugiés, mais celle de migrants économiques attirés par des pays européens distributeurs d’aides sociales généreuses.
Les médias masquent ces ambiguïtés en jouant la carte de l’émotionnel auprès des opinions, en mettant en avant les malheureuses victimes des traversées de la Méditerranée, ainsi qu’en ciblant quelques photos d’enfants, pourtant très minoritaires dans les embarcations.
Rocard l’avait dit en son temps : impossible d’accueillir toute la misère du monde ! La seule véritable solution d’avenir serait que les pays européens investissent significativement sur place, dans les pays de départ, en les dotant de structures productives afin d’assurer un avenir décent à leur jeunesse. Avec évidemment des structures de contrôle fiables dans l’utilisation des fonds et l’avancement des projets pour contourner la corruption omniprésente. Cela revient à multiplier parallèlement les expériences de commerce équitable, afin de donner de nouvelles opportunités aux ressortissants des pays pauvres concernés et consolider ainsi le développement durable. Des partenariats de solidarité efficaces nord-sud doivent être développés pour inverser la logique de ces déplacements massifs de populations qui déracinent les individus et déstabilisent les sociétés occidentales atteintes dans leur identité historique.
Systématiquement, les Eglises se réfèrent à l’Ecriture sainte en faveur d’un «accueil de l’étranger» totalement idéalisé et sorti du contexte. Le discours du pape François, très centré sur les migrants – auxquels il privilégie d’emblée le profil christique des nouveaux damnés de la terre – plaide pour l’accueil inconditionnel de tous ceux qui viendront frapper à la porte des pays européens.
Dans la bible, lorsqu’on parle d’étranger, il est question de quelques individus, jamais de mouvements massifs, comme c’est aujourd’hui le cas en Europe. Les textes bibliques sont pourtant là pour éclairer, pas pour cautionner. Un rapide retour aux sources nous révèle que par les valeurs d’hospitalité, d’accueil, d’entraide, les hommes et les femmes de la Bible savent de quoi ils parlent. Dans un tout autre environnement que celui de nos nations modernes, ils ont migré il y a quatre mille ans du Croissant fertile vers les terres de Canaan. Livrées à l’insécurité permanente et en cours de peuplement aléatoire, ces régions d’Orient n’avaient pas les contours délimités des nations modernes.
Ces territoires ont longtemps connu toutes sortes de mouvements de populations dans de grands espaces où sédentarité et itinérance ne correspondaient en aucun cas à la migration massive d’aujourd’hui à l’intérieur d’états organisés. Les concepts modernes de frontières historiques n’existaient pas, mais ce sont uniquement ceux de clans et de peuples qui donnaient sens aux déplacements collectifs d’une région à l’autre en fonction de famines ou de conflits. Ceux qui se sont installés dans les pays du Proche-Orient se sont dotés de règles de vie en commun, afin de contrer les abus de la loi du plus fort.
Dans l’histoire d’Israël, on sait qu’à certaines périodes de vaches maigres, des tribus sont parties travailler en Egypte. Dans l’antiquité, ces mouvements de peuples étaient occasionnels. L’épisode fondateur de l’Exode est issu de cette situation du peuple hébreu aux prises avec les conditions de vie du pays d’accueil devenues captatrices de son avenir. Avec compassion, rapporte l’Ecriture, le Dieu d’Abraham et de Moïse a pris parti pour les Hébreux devenus esclaves, et il les a aidés, non pas à s’assimiler en devenant des Egyptiens, mais à préserver et reconquérir leur propre destin en repartant librement vers leur terre. La terre promise, une terre d’alliance dont ils prendraient en main le développement sur la base d’un puissant code éthique dont les normes actuelles sont les lointaines mises en œuvre.
C’est par conséquent exactement la démarche inverse de ce qui est préconisé aujourd’hui lorsqu’on intime aux Européens d’accueillir sans condition tous les migrants qui se présenteront ! Dieu a aidé puissamment son peuple à revenir sur la terre qu’il lui destinait, et aujourd’hui, on voudrait que Dieu encourage les migrants à investir des territoires pour y imposer leurs coutumes au cœur de civilisations qui leur sont étrangères.
Dans la foi biblique, l’être humain est «image de Dieu», par conséquent le respect de la dignité humaine est à la base même de la charte de l’alliance. On saisit pourquoi la qualité d’accueil – mais aussi d’intégration – de l’immigré en terre d’Israël a pu être si fortement soulignée dans les Ecritures :
«Tu ne maltraiteras pas l’étranger, et tu ne l’opprimeras pas, car vous avez vous-mêmes été étrangers au pays d’Egypte». (Ex 22/21)
Et encore :
«Cet étranger qui vit chez vous, vous le traiterez comme un natif du pays, comme l’un de vous. Tu l’aimeras comme toi-même». (Lv 19/33) Avec la veuve et l’orphelin, l’étranger démuni faisait partie des personnes fragiles de la société.
Faut-il préciser qu’un étranger était accueilli et respecté dans le cadre obligatoire d’une réciprocité qui fait totalement défaut de nos jours. On lit en Ex 12/49 : «La même loi existera pour l’indigène et pour l’étranger en séjour au milieu de vous !» C’est donc selon un éclairage volontariste qu’il faut comprendre l’appel d’ouverture lancé par Jésus à ses disciples : «J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli !» (Mt 25/35) Ce passage d’évangile a été rédigé sous cette forme par les évangélistes pour secourir les nouveaux disciples persécutés par l’hostilité romaine. L’étranger en question n’était pas un immigrant économique venu d’ailleurs, c’était un frère de conviction christique pourchassé, qu’il fallait victime des supplétifs romains.
Si tout étranger s’attendait à être traité dignement – selon les règles religieuses en vigueur – il devait en retour respecter les lois et coutumes hébraïques du pays d’accueil, c’est-à-dire clairement renoncer à imposer à ses hôtes ses propres coutumes païennes. Les prophètes refusaient avec vigueur toute importation de pratiques allogènes dangereuses pour la cohésion des habitants légitimes du pays. Ainsi furent interdites toutes formes de magie et superstition, néfastes pour l’être humain, seul le Dieu des pères étant le garant de la justice et de l’harmonie sociale. C’est pour défendre ces valeurs communautaires essentielles que les Maccabîm ont organisé leur résistance face aux persécutions menées par le conquérant païen Antiochus Epiphane. Malgré les règles et les limites préventives, il n’y avait pas pour autant de xénophobie dans la tradition d’Israël, pensons aux épisodes de Naaman le Syrien ou à l’histoire d’Elie chez la veuve de Sarepta.
On le constate, le recours à l’asile existe déjà dans la Bible : Moïse l’a institué en établissant six cités-refuge afin de permettre par exemple à un homme poursuivi pour un meurtre involontaire d’échapper aux châtiments expéditifs. Il parlait par expérience !
Le livre d’Isaïe nous donne également un aperçu de ce droit, lorsqu’il est question d’accueillir les malheureux rescapés des massacres du royaume voisin de Moab. (Is 16/3). Très tôt, après avoir fait l’expérience de féroces persécutions, l’Eglise chrétienne a confirmé et recadré ce recours à l’asile dans son droit canonique et le code de Théodose en garantit les modalités, même si à partir du Concile de Tolède (7ème siècle) de fortes restrictions y sont apportées pour lutter contre les inévitables abus.
Concernant l’accueil des étrangers, migrants et réfugiés, au 21ème siècle, l’enseignement de l’Eglise est censé offrir un éclairage utile. Contrairement à certains discours idéologiques dominants, des textes officiels insistent sur l’obligation de faire coexister les droits et les devoirs, afin d’éviter les dérives à sens unique. Retenons à ce sujet le § 2241 du catéchisme de l’Eglise catholique :
«Les nations les mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine.
Mais sans oublier les lignes qui suivent :
Les autorités politiques peuvent, en vue du bien commun, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption.
L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges.»
Si l’identité culturelle et spirituelle du pays d’accueil s’efface, l’idée même d’intégration des étrangers perd tout sens. Elles sont nombreuses, les banlieues de France, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie surtout, où ce sont les autochtones qui doivent désormais se faire «intégrer» par les nouveaux habitants venus d’ailleurs et occupant le terrain sans ménagement. Au nom de bons sentiments, les Eglises se montrent incapables de formuler une parole commune réaliste incitant au discernement.
Une légitime inquiétude à la fois sécuritaire, identitaire et économique ne fait que s’accélérer au sein des peuples européens. Lors de sa visite à Madagascar, le pape François encourageait la jeunesse locale à prendre en main l’avenir du pays, en développant sur place les dynamiques nécessaires.
Et en ce qui concerne l’aide internationale pour ce pays parmi les plus pauvres du monde, le pape exprimait un souhait applicable à l’Europe :
«L’aide ne doit pas entraîner vers une prétendue culture universelle qui méprise, enterre et supprime le patrimoine culturel de chaque peuple !»
Le prochain discours de Marseille élaboré selon un critère «méditerranéen» indiquera l’orientation recommandée dans le contexte actuel. Mais logiquement, la solidarité invoquée ne devrait jamais occulter la nécessaire défense du patrimoine spirituel judéo-chrétien coordonné avec la capacité d’accueil : c’est le fondement de la civilisation occidentale qui est en jeu…Son effondrement compromettrait toute aide future aux pays pauvres.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.