Ils sont aussi intelligents que ceux qui ont accompagné le printemps arabe qui, faut-il le rappeler, n’a jamais existé que dans la tête de quelques journalistes et hommes politiques particulièrement niais.
J’ai écrit voici quelques semaines que la révolution en Ukraine n’aurait pas lieu, et qu’il n’y aurait pas plus de printemps à Kiev qu’il n’y en a eu au Caire.
La révolution en Ukraine n’a pas eu lieu
Un dirigeant corrompu est parti. Les émeutiers qui l’ont chassé ont installé un gouvernement provisoire à la moralité douteuse (je n’oublie pas, moi, qu’il comprend des gens venus de mouvements d’extrême-droite imprégnés d’antisémitisme, dénoncés l’an dernier encore par le Centre Simon Wiesenthal : Svoboda signifie liberté mais est aussi le nom du parti socialiste-national (?!) d’Ukraine), et cinq membres de Svoboda sont au gouvernement (dont Oleksandr Sych, vice premier ministre). Ce gouvernement provisoire est soutenu verbalement par l’administration Obama (ce qui veut dire qu’il n’est soutenu par rien), ainsi que par l’Union Européenne (ce qui veut dire qu’il est soutenu par moins que rien).
Ce gouvernement aurait besoin, pour survivre, de perfusions financières massives que ni l’administration Obama ni l’Union Européenne ne pourront lui donner dans la durée (le accords signés avec l’Union Européenne sont strictement symboliques). Mais, surtout, il apparaît comme l’émanation de la moitié Ouest du pays, celle qui parle ukrainien, celle qui est (comme le Premier ministre Arseniy Petrovych Yatsenyuk) catholique, et qui, pour partie, fut polonaise, et pas du tout l’émanation de la moitié Est du pays, où l’on parle russe et où on est orthodoxe.
Les deux moitiés du pays, depuis la chute de l’empire soviétique, tenaient ensemble tant bien que mal tant que l’une des moitiés ne tirait pas trop fort dans une direction.
La moitié Ouest a tiré très fort. Le pays se déchire. C’était très prévisible.
Vouloir détacher l’Ukraine de la Russie était une idée très dangereuse et un projet très risqué. Vouloir le faire quand on est dirigeants européens, qu’on est en position de faiblesse et qu’on a pour allié l’administration Obama était une idée inepte et un projet insensé.
La Crimée vient d’être annexée par la Russie. C’est logique en ce contexte. La Russie ne pouvait prendre le risque de se couper en quoi que ce soit du port de Sebastopol, pour des raisons économiques et militaires. La population de Crimée est très majoritairement russe. La Crimée a été Russie jusqu’à une décision de Nikita Khrouchtchev en 1954, et Khrouchtchev n’imaginait pas qu’un jour la Russie et l’ Ukraine pourraient emprunter des chemins séparés.
L’Est de l’Ukraine, jusqu’à Kiev, est le berceau de la Russie
L’Est de l’Ukraine va être traversé de tentations de rejoindre la Russie, et c’est logique aussi. L’Est de l’Ukraine, jusqu’à Kiev, est le berceau de la Russie. L’Est de l’Ukraine est l’Ukraine industrielle et minière. L’Ouest a eu des richesses agricoles. Des entreprises électroniques y ont émergé, qui ne sont absolument pas compétitives sur les marchés mondiaux.
La Russie peut prendre en main l’Est de l’Ukraine.
La Russie peut aussi attendre que l’Ukraine tout entière glisse vers une situation intenable et attendre que des dirigeants ukrainiens, repentants, prennent le chemin de Moscou.
Je ne vois pas vraiment de troisième possibilité.
Les Ukrainiens de l’Ouest seront déçus : ils pensaient sans doute rejoindre l’Europe et bénéficier de crédits abondants, de frontières ouvertes, de subventions pléthoriques. Ils ne rejoindront sans doute pas l’Europe.
L’Union Européenne perdra le peu de crédibilité qui lui restait : dès lors que ce peu était déjà moins que rien, ce ne sera pas très grave. Les dirigeants européens menaceront Poutine de sanctions, et Poutine les trouvera sans doute désopilants. Il trouve d’ores et déjà les sanctions actuelles désopilantes : l’Allemagne ne renoncera pas au gaz russe, la City ne renoncera pas à l’argent russe et il serait étonnant que la France ne livre pas le porte-hélicoptères Vladivostok l’automne prochain.
L’administration Obama continuera à n’être rien : un conglomérat d’idéologues gauchistes « anti-impérialistes » que Poutine continuera à prendre pour des idiots impuissants, et il aura raison. Obama et Kerry taperont du poing sur la table. Poutine les regardera. Il sera au spectacle. Il est d’ores et déjà au spectacle.
Le comportement de Pieds Nickelés des dirigeants européens et de l’administration Obama, malheureusement, montrera aux ennemis de la civilisation occidentale que ceux qui dirigent aujourd’hui les pays du monde occidental sont lamentables.
Et ils en tireront leurs conclusions. C’est ce qui se fait déjà à Téhéran et à Pékin, dans le camp de ceux qui sont hostiles à la liberté.
C’est ce qui se fait aussi à Jérusalem, à Riyad, au Caire, à Tokyo, en mille points du monde, où l’inquiétude monte.
Triste époque, décidément. Triste époque.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour Dreuz.info.
A propos de l’auteur
Guy Millière, (spécialisation : économie, géopolitique). Titulaire de trois doctorats, il est professeur à l’Université Paris VIII Histoire des cultures, Philosophie du droit, Economie de la communication et Maître de conférences à Sciences Po, ainsi que professeur invité aux Etats-Unis. Il collabore à de nombreux think tanks aux Etats-Unis et en France. Expert auprès de l’Union Européenne en bioéthique, Conférencier pour la Banque de France. Ancien visiting Professor à la California State University, Long Beach. Traducteur et adaptateur en langue française pour le site DanielPipes.org. Editorialiste à la Metula News Agency, Israël Magazine, Frontpage Magazine, upjf.org. Membre du comité de rédaction d’Outre-terre, revue de géopolitique dirigée par Michel Korinman. Rédacteur en chef de la revue Liberalia de 1989 à 1992 Il a participé aux travaux de l’American Entreprise Institute et de l’Hoover Institution. Il a été conférencier pour la Banque de France, Il a participé à l’édition d’ouvrages libéraux contemporains comme La constitution de la liberté de Friedrich Hayek en 1994 dans la collection Liberalia, puis dans la collection « Au service de la liberté » qu’il a créée aux éditions Cheminements en 2007. Il a également été rédacteur en chef de la revue éponyme Liberalia de 1989 à 1992. Il a été vice-président de l’Institut de l’Europe libre ainsi que Président et membre du conseil scientifique de l’Institut Turgot. Il fait partie du comité directeur de l’Alliance France-Israël présidée par Gilles-William Goldnadel. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages.