Un fast-food de 2000 ans découvert à Pompéi
Apartés : la chronique de Léa Simone Allegria
Publié le
Léa Simone Allegria, écrivaine et auteure du « Grand Art » (Flammarion), s’arrêtera chaque semaine sur une œuvre qui fascine – pour de bonnes ou de moins bonnes raisons – et façonne l’art. Cette semaine : découverte d’un fast-food antique dans les ruines de Pompéi.
À la croisée de la rue des Noces d’argent et de la rue des Balcons se tenait un thermopolium extrêmement populaire : il fut d’ailleurs fréquenté jusqu’aux derniers instants de Pompéi – les archéologues ont retrouvé le cadavre d’un homme surpris par l’éruption du Vésuve aux pieds du bar, un couvercle à la main. Le comptoir en forme de L englobe des pots de terre cuite dans lequel étaient présentés les aliments. On voudrait s’y accouder tant son état de conservation est exceptionnel. Les fouilles du thermopolium, débutées en 2019, viennent de toucher à leur fin. Si le mur décoré d’une néréide (ou nymphe marine) assise sur un cheval avait déjà été découvert, l’autre versant de la table dévoile de nouvelles fresques décoratives : un coq et des canards colverts dont l’image était destinée à ouvrir l’appétit, comme la photo des nuggets au comptoir de MacDo.
Les fresques de Pompéi et d’Herculanum constituent presque les seuls témoignages picturaux du monde antique ; ces éléments de décor offrent un aperçu de la polychromie des rues de la ville. Le feuillage et les animaux sont peints a tempera sur la pierre dans un traitement naturaliste d’une grande précision – les plumes sont rendues minutieusement, surtout si l’on considère qu’il s’agit de la décoration d’un fast-food. Le chien en laisse est-il un avertissement pour le passant, à l’instar du fameux « cave canem » (attention au chien) qui ornait souvent les portiques ? On peut aussi imaginer qu’un pilier était fixé devant la fresque et que l’on y pouvait y accrocher son chien pendant que l’on choisissait son repas. Était-ce un self-service ? Apportait-on sa gamelle ?
DES « POSSIBILITÉS D’ÉTUDE EXCEPTIONNELLES »
Du grec thermos, chaud, et poléo, vendre, le thermopolium était un établissement de restauration rapide où l’on servait des repas chauds et des boissons ; les Romains ne prenaient de repas à table qu’une fois par jour, et de préférence le soir. Dans la journée, on mangeait sur le pouce, en passant, et les vendeurs de rue étaient très appréciés. Rien qu’à Pompéi, petite ville de 12 000 habitants, on ne comptait pas moins de 80 thermopolia. « En plus d’offrir un autre aperçu de la vie quotidienne à Pompéi, les possibilités d’étude de ce thermopolium sont exceptionnelles, car pour la première fois une zone de ce type a été entièrement fouillée, et il a été possible de réaliser toutes les analyses que la technologie actuelle permet » a déclaré Massimo Osanna, directeur du site archéologique de Pompéi, le 26 décembre dernier.
Les propriétaires du fast-food n’ont pas eu le temps de fermer leur échoppe ni de nettoyer les restes de nourriture qui depuis 2000 ans, sont figés dans les pots de terre cuite. Ils sont de précieux renseignements sur les habitudes gastronomique des Pompéiens au moment de l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C. Un fragment d’os de canard, des restes de porc, de chèvre, de poissons et d’escargots ont été retrouvés sous la lave. Certains de ces aliments étaient mélangés ensemble, comme une grande paella à l’Antique. Au fond d’une jarre ont aussi été trouvées des fèves pillées que l’on employait pour modifier le goût du vin. Une inscription sur le mur d’un autre thermopolium de Pompéi nous donne une idée des prix en vigueur : un as pour un verre de vin, deux pour un vin de meilleure qualité, quatre pour du falerne, un excellent cru. Des amphores, une citerne et une fontaine ont été exhumés à proximité de l’échoppe, ainsi que le corps d’un homme d’une cinquantaine d’années allongé sur son lit, qui selon les historiens, devait être le propriétaire.
UNE MAUVAISE RÉPUTATION
Deux millénaires après leur disparition, ces fast-foods locaux n’ont toujours pas bonne réputation. Pour Plaute, le premier des grands dramaturges latins, ils accueillaient au II ème siècle avant J.-C une clientèle modeste de voyageurs, d’étrangers et de marginaux. Un personnage d’une de ses pièces s’emporte contre « ces Grecs en manteau » et « ces esclaves voleurs » qui viennent s’y saouler en pleine rue, causant un vacarme monumental. C’est peut-être la raison pour laquelle à Rome, plusieurs fois, les empereurs règlementent et tentent d’éliminer les thermopolia : Caligula les fait fermer durant le deuil de sa sœur, et fait exécuter un tenancier qui s’est permis de vendre de l’eau chaude malgré son ordonnance. Claude, dans son intention de réformer les mœurs romaines, y fait interdire la vente de plats cuisinés. Néron à son tour y bannit toute denrée cuite à l’exception des légumes. On ignore la signification et la portée de telles mesures – mais jusqu’à la fin de l’Empire, les thermopolia continuent de fleurir.
Le cadavre tenant à la main le couvercle qu’il venait de soulever ne dément pas cette mauvaise réputation : pour les archéologues, ce dernier client du fast food antique était un voleur qui aurait profité de l’agitation générale pour se servir.
Depuis les premières fouilles en 1748, près des deux tiers des 66 hectares de Pompéi ont été explorés par les archéologues. La regio V, le quartier du thermopolium, est en cours d’investigation depuis 2018. La ville n’en finit pas de nous offrir d’émouvants témoignages sur la vie des Romains au premier siècle de notre ère. Le mois dernier fut ainsi découverte au Musée de Naples la plus vieille bouteille d’huile d’olive jamais conservée – même les vestiges déjà exhumés n’ont pas livré tous leurs secrets.