Dans le meilleur des cas il s’agit d’une femme égyptienne sur deux, dans le pire: de presque toutes les femmes
Il y a quelques années, quand les révolutions arabes faisaient rage en Tunisie, en Egypte, en Libye et au Yémen, les femmes étaient les avant-gardistes du changement, exigeant des réformes et une vie meilleure. Mais il semblerait maintenant que le Printemps arabe ai été une farce cruelle pour ces dernières. Après les événements dramatiques de la place Tahrir, les agressions contre les femmes ont augmenté. Les assaillants étaient des hommes – soit d’autres manifestants, soit des militants masqués de groupes rivaux et parfois même, des policiers et des soldats. Le taux de criminalité a explosé et beaucoup de femmes ont désormais peur de marcher seules dans les rues du Caire, devenues trop dangereuses pour elles.
En Syrie, des millions de femmes et de filles ont été victimes de viol, de torture ou d’agressions au sein même de leur foyer ou dans de nombreux camps de réfugiés en Turquie, en Jordanie et au Liban. Et si quelqu’un espérait que la participation active des femmes dans les révolutions contribuerait à l’égalité des sexes ou favoriserait l’éradication de certaines traditions barbares, rien de cela ne s’est produit. La dernière déception date de la lutte contre les MGF (mutilations génitales féminines), l’ancienne tradition non islamique qui existe dans de nombreux pays africains tels que le Mali, le Sénégal, l’Éthiopie ou l’Egypte. La formule « légère » de cette pratique comprend l’ablation ou l’incision du clitoris, mais dans de nombreux pays africains, la formule « complète » des MGF existe toujours et consiste à suturer le vagin afin de « conserver la pureté » d’une jeune femme. Cette tradition qui date de l’époque des pharaons en Egypte a été largement adoptée par les prêtres islamiques du pays qui en prônent les vertus et les avantages.
Selon les données du gouvernement égyptien, le taux de MGF chez les femmes égyptiennes âgées de 15 à 49 ans varie de 49 à 91%. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une femme sur deux, dans le pire, il s’agit de presque toutes les femmes. La pratique, devenue officiellement illégale depuis 2008, n’a pas des racines islamiques et pourtant existe toujours aujourd’hui.
La lutte contre les MGF en Egypte dure depuis de nombreuses années, mais il est aussi difficile d’en parler aujourd’hui qu’il y a 40 ans, lorsque la célèbre médecin égyptienne, militante des Droits de l’Hommes et écrivaine Nawwal Saadawi a décidé de lever le voile sur ce phénomène horrible en décrivant sa propre expérience dans un livre. Saadawi a été attaquée par des chefs religieux, menacée et finalement emprisonnée. Cela s’est passé il y a quatre décennies.
Quoiqu’il en soit, en général dans la rue, personne ne veut parler de la question.
Au cours de mes nombreuses visites en Egypte, toute tentative de discuter de la MGF et de ses conséquences m’a emmené droit au mur du silence en raison des normes sociales, un sentiment de honte et la peur d’être mal compris. Il y a quelques jours, un tribunal égyptien a décidé d’acquitter un médecin et son père qui ont été accusés d’homicide involontaire contre Sohair Al-Bataa, une jeune fille de 14 ans qui est morte pendant une opération de MGF dans une clinique privée. Son histoire a fait les gros titres et quand le médecin Raslan Fadl a été arrêté et inculpé, les militants des Droits de l’Homme espéraient que le verdict deviendrait un important précédent juridique.
Mais ce n’est jamais arrivé. Au lieu de cela, les verdicts d’acquittement du médecin et du père ont été grossièrement inscrits dans le livret de la Cour de justice, sans aucune explication.
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Les organisations égyptiennes des Droits des femmes craignent maintenant que ce verdict devienne un précédent juridique d’un tout autre genre, notamment en facilitant l’acquittement de tout médecin qui effectue une opération de MGF et paralyse, voire même, tue une fille.
Les Frères musulmans ont officiellement dénoncé la pratique, alors que l’organisation parrainait les ambulances de MGF qui opéraient dans les zones rurales pour que cette même pratique soit réalisée en milieu médical. Il semblerait également que les nouvelles autorités égyptiennes qui luttent contre la politique de l’Islam ne soient pas pressées de s’attaquer à cette question sensible, pour des raisons politiques. La question est cependant discutée dans les médias et les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé ont même tendance à s’opposer au phénomène, mais aucune avancée significative de lutte contre ce genre de barbarie et de violence envers les femmes n’a été remarquée.
Les raisons sont bien connues et ne sont pas satisfaisantes: le gouvernement en a trop sur le dos – la lutte contre l’extrémisme islamique, la crise économique, la dispute de l’eau avec l’Éthiopie et ainsi de suite. Qui a le temps pour les femmes en ce moment? Au cours de la révolution en Algérie durant les années cinquante et soixante, on a également demandé aux femmes « d’attendre » que les problèmes soient résolus. Les « gros » problèmes en Algérie n’ont toujours pas été résolus à ce jour, et l’égalité des femmes n’est encore qu’un rêve. De la même manière en Irak et en Syrie, alors que la coalition américaine bombarde des positions de l’EI autour de Kobané (sans grand succès), le monde traite indifféremment l’asservissement scandaleux des êtres humains – des milliers de filles et de femmes yézidis sont maintenant traitées comme du bétail à Mossoul et à Racca.
Et en Egypte, la lutte contre l’intégrisme islamique dans le Sinaï est en première ligne alors que la lutte contre la barbarie et la violence envers les femmes est encore reportée indéfiniment.
Ksenia Svetlova est une experte du monde arabe, analyste au « Mitvim » Institut israélien de Politique Etrangère et contribue à la chaîne 9 (télévision russe en Israël)