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Des Arabes chez les nazis (1988) / JForum.fr

By 16 mai 2016mai 3rd, 2020Etz Be Tzion, Lève-toi !

 

Des Arabes chez les nazis

 

La colonisation des pays du Tiers-Monde par les différents impérialismes européens a fait connaître le meilleur et le pire à ces pays.

Ils ont ainsi eu connaissance des revendications concernant les Droits de l’Homme, du progrès scientifique… Mais ils ont rencontré aussi avec l’Occident  une autre forme de “modernité” : le nazisme, le franquisme (au Maroc), le pétainisme. Les travailleurs immigrés, appelés autrefois “travailleurs coloniaux”avaient eu à faire à la fois au nazisme et au pétainisme durant l’Occupation. Ils ont été tantôt spectateurs, tantôt acteurs à leurs corps défendant, des affrontements des pays occidentaux, et il serait intéressant de connaître les sentiments des Algériens musulmans qui ont vécu de telles périodes. Que pouvaient-ils en effet penser en voyant par exemple que l’Alger Pied-Noir, terre d’élection du vichysme (et pour longtemps) avait accueilli de façon très chaleureuse l’amiral Darlan, puis de façon tout aussi chaleureuse les troupes alliées, à quelques jours d’intervalle ?

Certains nationalistes arabes, qui recherchaient l’indépendance de leur pays, tentèrent de profiter des difficultés des puissances alliées contre les forces de l’Axe pour accentuer leurs efforts et radicaliser leurs revendications afin d’obtenir satisfaction. Cette stratégie avait été utilisée à l’autre bout de la planète par Nehru en Inde, par d’autres en Birmanie et ailleurs. L’attitude de ces nationalistes pouvait se résumer à l’adage bien connu selon lequel “Les ennemis de mes ennemis sont mes amis »“ Je ne parlerai donc pas ici de ceux qui comme Messali Hadj, leader du PPA emprisonné, refusa constamment toute forme de collaboration, contrairement à certains de ses compagnons. Je ne parlerai pas d’Ali Boukort l’un des dirigeants du Parti Communiste Algérien qui refusa toute compromission avec les nazis, dénonça le Pacte Germano-Soviétique et fut exclu de son parti. Un certain nombre de dirigeants nationalistes refusèrent de se compromettre aussi bien avec les nazis qu’avec Vichy, et les troupes de la France Libre n’eurent pas de grandes difficultés pour enrôler avec elles 233.000 soldats “Nord-Africains”  pour la Campagne d’Italie.

Les Arabes : Aujourd’hui, nous appelons “pays arabes”, l’ensemble géographique composé du Maghreb et des pays arabes du Proche-Orient. Ceux-ci avaient été administrés par la France ou par les Britanniques après la chute de l’Empire Ottoman à la fin de la 2ème guerre mondiale. Il s’agit donc d’un ensemble géographique où vivent des peuples très divers (et dont la diversité a été utilisée selon le principe “diviser pour mieux régner”). En effet, vivent là des berbères, des druzes, des sahariens nomades, ou citadins, des chiites, des juifs, des chrétiens et des adeptes d’autres religions et de nombreuses sectes. Afin de rechercher l’unité de cet ensemble les nationalistes ont mis successivement en avant l’Islam, religion majoritaire (ce que l’on a appelé le Panislamisme) et parfois c’est le caractère arabe de cet ensemble qui a été mis en avant (le Panarabisme de Nasser ou des Baassistes). Cet ensemble qu’est le monde arabe n’a en fait jamais réussi à trouver l’unité politique.

Cette recherche d’unité politique est la recherche d’une unité mythique : celle de l’âge d’or de la civilisation islamique. Ce monde-là et cette époque-là ne sont plus, et ne reviendront jamais plus. Ce qui existe bel et bien, par contre, c’est le totalitarisme dans chacun des Etats arabes.

La quête d’identité, la recherche d’une désignation satisfaisante par les habitants des pays arabes ne doit pas nous faire oublier qu’il est des moments où en fait c’est le groupe dominant qui décide. Un Kabyle vivant en France sera considéré comme un Arabe s’il plaît au groupe dominant de le désigner ainsi. C’est le groupe dominant, également en Occident et en France, qui décide qui est musulman ou qui ne l’est pas ; qui est français et qui ne l’est pas et ce, en modifiant si besoin est, le code de la nationalité. Le mode de désignation d’un groupe par un autre n’a rien d’un exercice innocent. Et sous le gouvernement de Vichy et le nazisme, les juifs furent voués à la mort simplement parce qu’ils étaient juifs et non pas selon leur propre définition de judéité ou parce qu’ils affirmaient leur spécificité, mais en vertu d’une définition inventée par leurs bourreaux.

Selon B. Lewis “Pour les nazis la judéïté n’était pas une dimension religieuse ou culturelle, c’était un caractère racial héréditaire immuable et si pénétrant qu’il suffisait d’avoir un seul Juif parmi ses grands-parents pour être marqué d’une tache indélébile et mis au ban de l’humanité.” [1] Si l’exemple du nazisme est un exemple extrême, il n’empêche pas que le classement, le recensement de gens et de groupes de gens se fait le plus souvent selon “la vision du vainqueur”, autrement dit, du groupe social dominant, quel que soit le mode de domination : par la force, l’argent, la connaissance etc. Dans le cadre des rapports Nord-Sud, les grandes puissances s’arrogent le droit de désigner qui sont les bons musulmans. Les chiites d’Iran en sont une illustration exemplaire : à l’époque du Shah, ceux-ci étaient considérés comme des gens honorables ; aujourd’hui, à l’heure où l’Iran n’est plus un pays allié aux grandes puissances occidentales, ils sont présentés comme les pires des fanatiques. Les Wahabites qui dirigent aujourd’hui l’Arabie Saoudite, musulmans en réalité rigoristes et intégristes sont par contre désignés comme étant des gens “très modérés”, étant alliés aux USA.

Au Proche-Orient

Avant la dernière Guerre Mondiale, les mouvements nationalistes ont cherché à obtenir la fin du mandat français et du mandat britannique ainsi que la proclamation des indépendances. Et le début des hostilités a amené certains nationalistes à jouer la carte allemande pensant qu’en affaiblissant les Alliés, en s’alliant avec les troupes de l’Axe, ils pouvaient permettre l’accession plus rapide à l’indépendance de leur pays. C’était oublier – ou méconnaître – que les Allemands et les Italiens n’ont jamais souhaité favoriser les indépendances des autres pays. Ces deux puissances étaient elles-mêmes des puissances expansionnistes.

Comment, par ailleurs, les nationalistes arabes n’ont-ils pas imaginé et compris que s’allier avec Hitler était s’allier avec le Diable ? En effet, ces nationalistes ne pouvaient pas ne pas connaître les théories raciales d’Hitler. Mein Kampf était traduit en français dès 1934. Des traductions expurgées étaient mises à la disposition de lecteurs arabes par les services de propagande du parti national-socialiste allemand et par le Service Oriental dirigé par le Dr Rudiger du Ministère de la Propagande[2].

Dans de tels ouvrages, avaient disparu les formules telles que les bâtards prétentieux mais sans aucun fond” que sont les Orientaux pour Hitler. Les Egyptiens sont “ces orientaux soufflés (…) ces gens qui n’avaient rien derrière eux”. La guerre sainte “cette coalition d’invalides qu’il est impossible de lancer à la tête d’un puissant État, qui trouverait une fin infernale sous le tir fauchant des compagnies de mitrailleurs anglais…” Cette liste des souhaits formulés à l’encontre des Orientaux n’est pas exhaustive.

Il n’empêche que d’après B. Lewis, Michel Aflak et S. El Djoundi, les fondateurs et dirigeants du parti BAAS étaient de grands admirateurs d’Hitler[3]. Le leader arabe le plus connu ayant été du côté des nazis est sans conteste le Grand Mufti de Jérusalem: Hadj-Amine El Husseini.  C’est un homme dont l’itinéraire ressemble en certains points à celui d’Hitler. Il a tout échoué et en premier lieu ses études de théologie à El Azhar, la plus grande université du Caire, qu’il quitta avant la fin de sa première année d’études. Il obtint malgré tout la charge de Grand Mufti de Jérusalem à la suite de son demi-frère et de son grand-père. Il est probable qu’il ait été désigné pour cette charge par les Britanniques en raison de la puissance et de l’influence de sa famille (le clan des Husseini). Selon Hopwood[4] il apparaissait plutôt comme un élément modérateur. Il s’avéra être, très rapidement, un farouche opposant à l’immigration juive en Palestine. Il dut quitter son pays en 1937 pour ne pas être arrêté. Il alla au Liban puis en Irak. En 1941, il y soutint le coup d’État de Rachid Ali El Galyani (ou El Kilani), également soutenu par les Allemands. Le coup d’État échoua. Le Mufti et Rachid Ali se réfugièrent en Allemagne via l’Iran, de 1941 à 1945. Ceux-ci ne peuvent donc pas dire qu’ils ignoraient le sort fait aux juifs et plus généralement le sort fait à tout citoyen ne partageant pas l’idéal nazi.

Depuis Berlin, le Mufti aida à mettre en place des réseaux d’information, de propagande et d’espionnage. Il participa à l’organisation des étudiants arabes de Berlin et de Vienne. Il enregistra des appels radiodiffusés en direction des pays arabo-musulmans, y compris pour les radios japonaises, les appelant à se révolter contre les Britanniques.

Il se fit photographier avec Hitler : cette photographie illustra de nombreuses brochures de propagande nazie.

Il alla bénir  les Waffen SS musulmans de Yougoslavie (ils portaient un fez rouge et un insigne de la Wehrmacht).

Il aida à recruter des agents arabes qui furent parachutés en pays arabes[5].

Il aida à constituer la légion arabe[6] : la Deutsch Arabish Lehrabteilung. Celle-ci était composée de 580 combattants arabes recrutés parmi des prisonniers de guerre (au deux-tiers des Marocains). Ils arboraient des écussons sur lesquels était écrit Freies Arabian (l’armée jordanienne s’est aussi appelée Légion Arabe, bien que n’ayant rien à voir avec Hitler).

Le Mufti de Jérusalem n’obtint pas que cette légion soit placée sous commandement arabe. Elle fut incorporée à Cap Sounion en Grèce à la Division Brandenburg (ils furent 580 Arabes parmi 5200 allemands). Cette légion arabe aurait aussi abouti à un échec[7], mais les échecs du Mufti ne s’arrêtèrent pas là.

Il n’obtint jamais de déclaration d’indépendance pour un pays arabe de la part d’Hitler et ce, même en proposant la mise à disposition de bases militaires en Tunisie en faveur des forces de l’Axe (il offrait en fait ce qu’il ne pouvait donner, car la Tunisie ne lui appartenait en rien !).

Le Mufti fut constamment en contact avec de “hauts dignitaires’ nazis dont les idées et les pratiques en matière de racisme et de fascisme ne constituent un secret pour personne. Cela n’empêcha pas le Mufti d’affirmer qu’il ne savait pas ce qui se passait pour les juifs en Allemagne et dans les pays assujettis par les nazis. Plus tard, à Bandoung, devant les leaders des pays du tiers-monde, il réitéra ses diatribes habituelles contre “Les juifs”, alors même que le contexte géopolitique s’était totalement modifié[8]. En fait, quel que soit le contexte, ses discours donnent l’impression d’être à chaque fois le même discours constamment répété.

Avec tous ces échecs, la faveur  que lui ont accordée les Allemands ne peut que nous étonner. Peut-être faut-il admettre, à la suite d’Hirszowicz, que le Mufti, ayant des cheveux blonds et des yeux bleus, avait pour cette raison leur préférence.

Le Pr. Schrumpf, un médecin alsacien au service des Allemands, le considérait comme un “Circassien”  et non comme un “Arabe »“ Le titre de grand Mufti de Jérusalem a peut-être fait croire qu’il détenait une haute autorité sur le monde musulman. Il put tirer son épingle du jeu et se réfugier dans divers pays arabes après la chute de Berlin.

En fait, de nombreuses personnalités du monde arabe ont collaboré et ont été en relation avec les forces de l’Axe, certaines, ensuite, ont occupé des postes de chefs d’État comme Nasser ou Sadate. D’autres avaient, dans la période nazie, une place prépondérante dans les mouvements nationalistes. Rachid Ali, par exemple, auteur d’un coup d’état en Irak, a été durant son exil à Berlin, en situation de rivalité avec le Mufti de Jérusalem.

Un autre personnage d’importance mérite d’être signalé ; il s’agit de Chakib Arslan, un prince druze du Liban, réfugié à Genève dès les années 1930. C’est un féodal qui met l’Islam en avant comme élément fédérateur. Il contribua également à organiser les étudiants arabes en Allemagne, à Vienne et dans toute l’Europe. Depuis Genève et Berlin, il constituait un trait d’union entre les forces de l’Axe et les leaders nationalistes du Proche-Orient et du Maghreb. Il hébergea même Messali Hadj, réfugié lui-même en 1935 à Genève. Il fut nommé Conseiller Technique de la Propagande du Reich en Pays Arabes, et sur proposition de Goebbels, il est fait Citoyen d’Honneur du Gouvernement Nazi[9].

La collaboration des Maghrébins.

Les collaborateurs nord-africains sont très divers. Parmi eux, il y avait de pauvres diables incultes et vivant dans la misère et le dénuement, et qui croyaient que la fin des vaches maigres allait bientôt arriver. Il s’agissait parfois de gens d’un autre âge croyant qu’Hitler était le continuateur de Guillaume II (que certains allaient même jusqu’à appeler Hadj Guillaume !). Ce dernier s’était opposé aux impérialismes français et britannique au sujet du Maroc et d’autres colonies. Certains ont peut-être cru naïvement qu’il s’agissait d’une attitude désintéressée. Il y avait cependant parmi les collaborateurs des gens instruits par le système scolaire et universitaire ou par le militantisme, ou par l’action syndicale[10].

En France, “Les travailleurs coloniaux nord-africains”, c’est-à-dire les travailleurs d’origine maghrébine, constituaient une petite communauté d’environ 100.000 personnes. En son sein, quelques nationalistes s’étaient révélés d’odieux militants pronazis. Le plus connu était El Maadi, un ancien cagoulard recruté par les Allemands[11].

Il édita un journal imprimé avec l’aide des Echos de la Presse, Les Temps Nouveaux et Paris-Soir grâce aussi au soutien des services de propagande allemands (la Propaganda Abteilung).

Ce journal que l’on peut lire dans les bibliothèques spécialisées, s’appelle El Rachid,  c’est-à-dire Le Führer. Il contenait des textes de propagande pro-allemande, des discours et des caricatures antisémites. Il critiquait parfois Vichy qui n’était pas suffisamment pro-allemand à ses yeux. Le journal proposait aussi des chroniques littéraires, théâtrales et artistiques. On peut se demander si des immigrés (les “travailleurscoloniaux” !), analphabètes le plus souvent à cette époque, pouvaient se procurer et lire un tel journal. Mais l’approche et la circulation des idées nazies se faisaient en réalité le plus souvent par la discussion et les ordres transmis directement et oralement par les collaborateurs les plus divers et dont l’idéologie ne contredisait en rien le racisme nazi.

El Maadi mit en place un Comité Musulman d’Afrique du Nord  avec des personnalités telles que Si Adjou Saïd, Foudil Si Arabi Lahmek, Amar Naroun[12], auquel adhéraient 980 personnes. Des cantines ont été ouvertes en faveur d’immigrés chômeurs par ce comité.

À l’actif d’El Maadi, il faut ajouter le recrutement pour la Bande de Bonny et Lafont (la Gestapo de la rue Lauriston) de 300 personnes qui composèrent la Brigade Nord-Africaine. Celle-ci fut ensuite incorporée dans la Franc-Garde de la Milice de Darnand. Il s’agissait de délinquants, de proxénètes etc., qui se sont avérés être de piètres combattants mais de redoutables tortionnaires dans le Sud-Ouest de la France[13],notamment dans la région de Tulle, Limoges et Brive.

Mis à part le cas caricatural d’El Maadi et de ses compagnons, le gros des troupes de collaborateurs a été constitué par les nationalistes du PPA en France. Avec des gens comme Radjef Belkacem qui sera plus tard un dirigeant très important de ce parti après la guerre, Omar Khider, ils créèrent l’UNTA, proche du F.S.T de Marcel Déat. Cette appellation paraissait (ou, peut-être, voulait paraître) faire croire qu’il ne s’agissait-là que de l’ancienne Union Nationale des Travailleurs Nord-Africains  sous laquelle se cachait de 1935 à 1936 l’ancienne Etoile Nord-Africaine  de Messali Hadj qui avait été dissoute.

La collaboration avec les nazis de dirigeants de haut rang comme Si Djilani, l’un des fondateurs de l’Etoile Nord-Africaine et du PPA[14] (dont certains militants créeront le FLN), d’Omar Khider et de Radjef, d’Abderhamane Yassine[15], qui affichaient ouvertement des idées pronazies, n’étaient pas sans importance auprès de travailleurs issus du monde rural et dont la culture politique est médiocre. Ces militants nationalistes ont prétendu qu’en agissant ainsi ils pouvaient aider leurs compatriotes au sein d’une organisation dont le but était l’indépendance. De tels arguments montrent bien le vide politique de ces responsables et dirigeants. Aussi fallacieux soient-ils, il n’ont cependant pas empêché des collaborateurs comme Hadj Cherchalli, Igherbouchen, Sahli, Radjef et bien d’autres à occuper des postes de dirigeants duFLN en Afrique du Nord ou dans la Fédération de France. De toute manière, la lutte pour l’indépendance a souvent tenu lieu de justification et a permis d’éviter toute discussion sur le fond, sur les droits de l’homme, sur le racisme, le totalitarisme et le nazisme. Nous sommes en droit de nous interroger sur la société qu’allaient bâtir des gens prêts à s’allier avec des nazis pour parvenir à leurs fins[16].

J’ai porté une attention toute particulière au nationalisme algérien, mais les Tunisiens et les Marocains ne sont pas en reste.

Le 9 novembre 1942, les troupes de l’Axe débarquent en Tunisie et occupent le pays jusqu’en mai 1943. Bourguiba en profite pour demander l’indépendance qui lui est aussitôt refusée.

Celui-ci se retire, mais le Dr. Hadj Thammeur et des personnalités telles que Mohammed El Medi Bou Alleg[17], Mohammed Turki et un ex-speaker de Radio-Berlin, Murad, offrent leurs services. Les suivent aussi le Pr. Mohammed Senoussi, de la Zitouna et plusieurs dirigeants néo-destouriens : Triki, Rachid Driss, Taïeb Slim, Habib Bougatfa, Medi Saïdi.

Le général Bridoux, ministre de Laval, appuie la création d’une Phalange Nord-Africaine, composée d’environ 200 Français et 200 Nords-Africains, recrutés par la suite et à leur tour par l’armée allemande sous le nom de Compagnie Frankonia[18].

En Tunisie, la collaboration prenait une autre signification, en raison de la guerre des sables que menaient les Alliés contre Rommel.

Au Maroc, les personnalités les plus en vue ayant collaboré étaient Abd El Khelek Turris et El Ouazani, qui demandèrent une déclaration d’indépendance. Elle fut rejetée par les Allemands qui ne souhaitaient ni gêner, ni s’opposer aux visées colonialistes de l’Italie et de l’Espagne.

L’attitude du Sultan Mohammed V, par contre, paraît de loin très courageuse, si l’on prend en compte le fait que son pays était occupé par les troupes franquistes et françaises, et administré par des vichystes. Il reçu des délégations juives en mai 1942 et déclara aux notables qu’“il les considérait comme des Marocains au même titre que les musulmans, égaux aux autres Marocains, et qu’il ne serait touché ni à leurs biens ni à leurs personnes[19]. Une telle déclaration, bien que n’ayant eu que peu de publicité, et venant d’un homme dont l’autorité morale sur ses “sujets” et dont le “charisme” personnel étaient tels, ne pouvait pas ne pas avoir un minimum d’effet sur les Marocains.

Après la 2e Guerre Mondiale.

            Le cas algérien :

L’enseignement des nazis tel qu’il a été prodigué par les cadres de l’Abwher, la SS, la LVF, s’est transmis à leurs élèves par la parole, par des exercices pratiques et par l’exemple.

Parmi les collaborateurs qui ont reçu un tel enseignement, il faut citer une figure bien connue en Algérie : Mohammedi Saïd, parachuté en Tunisie comme agent de l’Abwher[20] en 1943, après avoir fait partie de la LVF. Il a été capturé et condamné à une peine de prison et est libéré en 1952. Il s’engage dans le FLN, dont il devient rapidement un responsable militaire important. Il portait constamment un casque allemand au maquis durant la guerre d’Algérie, comme en témoignent les photos parues dans la revue Historia.[21] C’est un ancien maître d’école coranique présenté par À. Horn comme un personnage dévot et obtus.

D’autres nationalistes formés par les tortionnaires SS à leurs méthodes se sont engagés par la suite dans le FLN. L’historien anglais  À. Horn et Y. Courrière signalent Mezioud Hacène[22], surnommé Capitaine Latorture par ses compagnons, car il dirigeait lui-même la torture et les interrogatoires de militants (accusés de trahison, selon les pires méthodes). C’est son patron Mohammedi Saïd[23], qui ordonna l’expédition punitive contre le village de Mélouza, où furent égorgés tous les habitants de plus de 15 ans, car ce village était accusé d’être plutôt pro-français.

De fait, lorsque nous recherchons l’origine d’exactions commises durant cette guerre d’Algérie, nous retrouvons à la base, le plus souvent, plusieurs causes entremêlées et plusieurs sortes d’assassins : des SS, des tueurs formés et entraînés pour cela, ainsi que des délinquants comme ceux qui ont été recrutés parmi les truands d’Alger ou d’ailleurs qui ont contribué à donner un caractère des plus sanglants aux attentats lors de la bataille d’Alger (comme le Milk-Bar) et faisant de très nombreuses victimes parmi les populations civiles (Ali la Pointe et d’autres personnes avaient appartenu au “Milieu” que le FLN avait mis sous sa coupe à Alger).

Parmi les dirigeants du FLN, il y avait aussi des gens d’une rare violence, comme le colonel Amrouche, qui supportait très mal la marque la plus infime d’insubordination, ou l’expression de toute contradiction. Ce qui unissait ces hommes, c’est la lutte pour l’indépendance, et celle-ci ne souffrait ni discussion, ni réflexion, il fallait obéir aux ordres venus d’en haut et rien de plus. Ainsi l’exemple des pays totalitaires avait fait des émules, mais il semble que l’explosion brusque d’exactions, d’assassinats et de tortures commis contre ses propres compagnons avait peut-être quelque chose de compulsif, dont l’analyse n’a jamais été faite à ce jour à ma connaissance, et que des conditions sociales et historiques avaient favorisés.

Il n’est pas possible de parler de la guerre d’Algérie sans évoquer également la torture du côté français. En effet, celle-ci avait été oubliée depuis fort longtemps, depuis le temps où, en France, elle avait pour nom “La Question” sous l’Ancien Régime. Elle avait été communément condamnée et abolie depuis la Révolution de 1789 et fort critiquée par les philosophes du Siècle des Lumières qui, s’ils s’indignaient que l’on soumette leurs compatriotes à La Question, ne s’offusquaient en rien de la promulgation du Code Noir[24]qui instaura et légiféra l’achat et la vente des esclaves noirs.

Les nazis et leurs hommes de main ne firent que renouer avec une ancienne pratique qu’ils développèrent et perfectionnèrent en utilisant au besoin des médecins. Les victimes n’étaient plus les sorcières et les sorciers, mais les résistants et opposants de toutes sortes ; et survivre à La Question n’amène plus la réhabilitation ou la proclamation d’innocence de la victime. Une exception pour les juifs d’Europe qui subirent un sort particulier : destruction pure et simple.

Si le despotisme et ses moyens de coercition avaient régressé en Europe depuis la Révolution française de 1789, nous nous devons de pointer le fait que cela n’a pas été le cas partout sur la surface du globe. Aujourd’hui même, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’énonce pas des droits universellement reconnus, respectés et protégés. L’idée, selon laquelle dans une démocratie « le peuple » fait la Loi par l’intermédiaire de représentants élus au suffrage universel occulte le fait que “le peuple” attend souvent beaucoup du détenteur du pouvoir et de la légitimité de celui-ci. Le débat sur la peine de mort nous enseigne que beaucoup de citoyens admettent encore que la justice et la police puissent d’une certaine façon avoir droit de vie et de mort sur la personne humaine, et qu’il soit possible d’utiliser des méthodes violentes en politique et la torture dans certains cas. Celle-ci fut pratiquée pendant la guerre d’Algérie, parfois de façon systématique par les forces de l’ordre. Il semble que les Unités du Général Buis soient les rares à ne pas l’avoir utilisée. Devant le refus de certains soldats du contingent à la pratiquer, des Unités spécialisées ont été constituées à cet effet. La métropole n’a pas été en reste. L’apogée des exactions a été la répression des manifestations d’octobre 1961 à Paris. Des corps de Maghrébins jetés dans la Seine y furent repêchés par dizaines. Les méthodes “d’interrogatoire poussé” se sont considérablement améliorées depuis les nazis. À. Horn[25] en cite quelques exemples comme le supplice de l’hélicoptère. Cet auteur a rapporté également le témoignage d’un correspondant de guerre, John Gale, qui fit une dépression nerveuse en Algérie, et avait entendu proférer une menace adressée à  “un suspect” du FLN  par un jeune parachutiste en ces termes : “Je tuerai toute ta famille, comme la mienne a été fusillée par les Allemands”. Un autre para a dit, mais avec une nuance de respect : “Les Allemands faisaient les choses, froidement, systématiquement…” De tels propos témoignent du fait que quelque chose d’important et de grave s’est bien transmis d’une génération à l’autre et ce, indépendamment du camp choisi par les personnes concernées. Les nazis qui ont réussi à fuir la justice ont parfois continué leurs méfaits avec d’autres moyens comme par exemple la formation de tortionnaires dans la police de pays vivant sous des régimes de dictature, la vente et le trafic d’armes, etc.

Pour terminer sur ce chapitre, il faut rappeler que les Arabes ont été plutôt utilisés par les nazis qu’ils n’ont eux-mêmes utilisé ces derniers. Ils ont en réalité fait l’objet d’un marché de dupes. Cependant, étant eux-mêmes l’objet d’une colonisation impitoyable qui refusait même l’allègement du statut colonial (cf. les déclarations de R. Pleven autour de la Conférence de Brazzaville), certains nationalistes voyaient peu de différence entre le nazisme et les démocraties occidentales (c’est dire leur niveau de conscience politique !). Les massacres qui ont eu lieu le 8 mai 1945 dans la région de Sétif et de Guelma contre la population musulmane, et qui auraient fait 45000 morts selon le chargé d’affaires américain[26], n’ont pas contribué à faire regretter à quelques-uns d’entre eux leur collaboration avec les forces de l’Axe.

La rencontre entre nazis et nationalistes a eu des effets et des conséquences que subissent encore les habitants des pays arabes. En effet, des nazis se sont réfugiés dans certains d’entre eux et ont joué des rôles dans des institutions comme l’armée (Aloïs Brunner par exemple est réfugié en Syrie). Dans les pays arabes, le parti unique est le plus souvent la règle et la torture est un système d’interrogatoire des plus communément admis dans les commissariats et les établissements abritant les Services Spéciaux. Les évènements d’octobre et novembre 1988, qui ont eu lieu en Algérie, ont révélé ce phénomène au grand jour. L’armée n’a pas hésité à tirer sur de jeunes manifestants avec des tanks[27]. Des milliers d’enfants et d’adolescents ont été arrêtés par les forces de l’ordre et torturés avec, parfois, l’aide de médecins. De tels faits n’ont en rien étonné les gens qui n’ignoraient pas que le fondateur des Services Spéciaux algérien, le Colonel Youssouf, dont le Président Boumediene a été très longtemps un subordonné, admirait Hitler, Staline et Franco[28]. En effet, dans les pays arabes, la rencontre entre nazis et nationalistes est un sujet tabou, voire refoulé,  ce qui ne peut manquer de nous faire craindre les processus de projection décrits par Freud“ce qui est neutralisé au-dedans fait retour (boomerang) par le dehors”, et les réactions d’un certain nombre de personnes devant l’évocation de tels faits relèvent plutôt de ce qu’en reprend Lacan sous le terme deforclusion  : “ce qui n’est pas venu au jour du symbolique apparaît dans le réel.” Ce qui s’est passé récemment en Algérie, mais aussi dans d’autres pays arabes du Proche et Moyen-Orient, et le peu de réaction de militants et intellectuels arabes en sont de bonnes illustrations. L’irruption sur la scène politique des évènements d’octobre et de novembre 1988 en Algérie et la violence avec laquelle ont été réprimés les jeunes, non concernés par la légitimité des discours nationalistes, traduisent la dimension de ce qui a été refoulé de cette rencontre du nationalisme avec le nazisme.

Dans ce texte, j’ai essayé de montrer à travers des documents dont l’accès est des plus faciles pour un très large public, la façon dont s’était transmis le savoir-faire des nazis en matière de racisme, de terreur et de violence. Il va de soi que cela ne constitue pas une recherche exhaustive de tout ce qui s’est passé ni de tout ce qui s’est transmis. En effet, le savoir-faire sur la torture et la répression n’est qu’un élément des méthodes d’oppression nazies. D’autres champs du savoir et d’autres pratiques ont été légués, qu’il convient maintenant de repérer et d’analyser.

 

Paris, automne 1988

 

 

1988

Saïd Bellakhdar

 

 

 



[1] – B. Lewis, Sémites et antisémites, p. 27 – Éd. Fayard.

[2] – Ch. R. Ageron, Les populations du Maghreb face à la propagande nazie, in La revue d’histoire de la 2ème Guerre Mondiale, n° 114 – PUF.

[3] – B. Lewis, Sémites et antisémites, op. cit.

[4]Encyclopédie de l’Islam – Ed. Du  C.N.R.S. (article sur Hadj Amine El Husseini).

[5] – Selon le témoignage de W. Schellenberg consigné dans M.W. Kemper : Le 3ème Reich en procès  – Éd. Casterman.

[6] – D’après L. Hirszowicz in The Third Reich and Arab il n ’aurait pas été d ’une efficacité exemplaire. Voir aussi Tillman, Deutschlands Araber Politik im zweiten Weltkrieg.

[7] – Voir Hirszowicz, Tillman et la thèse de Ph. Mattar (Philadelphie).

[8] – Il dirigea le Haut Comité Arabe, une organisation qui fut supplantée par l ’O.L.P. en 1965 et assura  durant de longues années de hautes fonctions dans la Ligue Arabe.

[9] – J. Bessis in Chakib Arslan et les mouvements nationalistes arabes, Revue historique, 1978.

[10] – Lorsque l ’Etoile Nord-Africaine est dissoute en 1937, une cinquantaine de militants ont rejoint Doriot au PPF in Benjamin Stora, Messali Hadj – Ed. L ’Harmattan.  

[11] – D ’après C. R. Ageron, El Maadi militait  au MSR (issu de La Cagoule) puis au RNP de Déat et Deloncle.

[12] – In C. R. Ageron; op. cit.

[13] – Pascal Ory, Les collaborateurs, p. 174-176 – Ed. Le Seuil, coll. Points – et l’article de P. Delarue dans le n° spécial de la revue L’histoire sous la collaboration.

[14] – Le PPA est né en 1937 à la suite de la dissolution de l’Etoile Nord-Africaine et fut dissout à son tour. Il renait en 1946 sous le nom de MTLD.

[15] – Radjef et Igherbouchen étaient speakers de langue kabyle à Radio-Mundial, radio de propagande aux mains des Allemands à Paris, Messali Hadj dirigeant successivement l’Etoile Nord-Africaine, le PPA et le MTLD. Messali Hadj, la plupart du temps en prison a constamment condamné le fascisme et refusé toute collaboration (voir B. Stora).

[16] – Dans sa thèse The rise and fall of the movement of Messali Hadj in Algeria – Columbia 1973 – Mrs Zagoria cite parmi les militants du PPA ayant collaboré avec les Allemands à Paris, Radjef, Mohammed Hebbouche, Si Djilami, Salem Ben et Mohammed Djama, Amar Khider, Mohammedi Saïd et Abderrahmane Yassine. À cette liste, C.R. Ageron ajoute le Dr. Hafiz Ibrahim de l ’AEMA et des étudiants, le chanteur-compositeur Ababsa et H. Belghoul – Revue d ’Histoire de la 2ème Guerre Mondiale, op. cit. – M. Harbi cite aussi les militants du CARNA (Comité d’Action Révolutionnaire Nord-Africain, issu du PPA) : Rachid Amara, Abderrahmane Yassine, Cherif Bellamine, Mohammed Taleb, Omar Hamza, M. Abdoun, M. Henni, Moussa Bel Keroua, Hadj Cherchalli. S’y rattachèrent Mostafa  Bacha et Cherif Sahli  in Aux origines du FLN – Éd. Ch. Bourgois.

[17] – Il deviendra chef du Service de la Propagande du Mufti de Jérusalem à Berlin.

[18] – Voir H. Charbonnier, Les  mémoires  de Porthos – Éd. du Clan.

[19] – Voir documents C.D.J.C. XXXI-47 et C.D.J.C. LXXXII-12.

[20] – Cf. À. Horn, Histoire de la Guerre d’Algérie, p. 136 – Éd. Albin Michel.

[21] – Voir la série sur la Guerre d ’Algérie, n° 2 p. 52 de la revue Historia.

[22] – Après l’indépendance il occupera des postes dans les instances dirigeantes du FLN et sera député dans l’assemblée constituante algérienne.

[23] – Voir plus haut.

[24] – Sala Molins in le Code Noir. – Éd. PUF.

[25] – À. Horn in Histoire de la guerre d ’Algérie.  – Éd Fayard.

[26] – Sur la question de mai 1945 en Algérie, voir E. Vallet, Le drame algérien, la vérité sur les émeutes de mai 1945, C.À. Julien, L’Afrique du Nord en marche.

[27] – Ces pratiques ne constituent pas un privilège algérien, des pays arabes et des pays du tiers-monde pratiquent de cette façon.

[28] – Voir Y. Courrière, La Guerre d’Algérie, tome 3 p. 152 – Ed. Fayard – et M. Harbi, Le FLN, mirage et réalité, p. 218 – Éd. Jeune Afrique.

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  • djamel-eddine dit :

    salle sionistes racistes criminels, la solution finale d’Hitler était bien faite si elle est arrivé à ses fins d’exterminer la mauvaise race qui le votre

  • djamel-eddine dit :

    je ne comprends pas pourquoi vous acharnez sur l’Algérie et les Algériens en particulier parmi tout les arabes, alors que c’est grâce aux algériens qui ont ouvert la brèche de Monti Cassino en Italie que le débarquement du jours J en Normandie a pue se réalisée et les alliés ont pue débarqué sur les côtes de la manche , en plus de cela c’est grace aux richesses de l’Algérie exploitées et volée durant plus qu’un siècle et demi que la france à construit son économie

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