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LA BALLADE DE SANS-NOM / Extrait N°12 : LE BATHYSCAPHE (suite) Le Parrain: « Ah ! Ce Dreyfus. Il ne veut faire partie d’aucune tribu. Enfin, c’est son problème. Tout le monde l’aime bien pourtant, sauf peut-être le gang des filles-mères de la porte 25. N’empêche, il m’intrigue, le Dreyfus. Pas vous ? Hein,… ? »

By 3 novembre 2021LECTURE QUOTIDIENNE

Le Parrain: « Ah ! Ce Dreyfus. Il ne veut faire partie d’aucune tribu. Enfin, c’est son problème. Tout le monde l’aime bien pourtant, sauf peut-être le gang des filles-mères de la porte 25. N’empêche, il m’intrigue, le Dreyfus. Pas vous ? Hein,… ? »

« ’Sais pas, connais pas vraiment », glisse Sans-Nom.

 

Le Parrain avec une soudaine envie de changer de conversation : « Et, ça! Vous connaissez ça ? J’augmente le volume, attendez. C’est bon, ça. C’est super, c’est sarp-serp, ça taille dur, c’est méga ! Ooouuiiii, m’sieurs, dames! Méga, méga, méga… »

 

Et toute l’armada des saxophones d’Urban Sax déferle dans le bureau.

Sans prendre la peine de diminuer le son, le Parrain enchaîne  en hurlant :

 « Au fond, ce qui m’a toujours le plus impressionné chez eux, c’est surtout leur look. Pouvez pas imaginer ça! Quarante, cinquante, peut-être soixante types habillés du même costume blanc, le visage entièrement recouvert d’un bas de soie. Oui, tous ces types qui jouent du même instrument, vêtus du même costume, avec des visages quasi invisibles, masqués de brun ou de noir. C’est puissant ! Et au fond, leur musique est la seule que je supporte vraiment. Pourquoi   mamzelle? Je n’en sais rien,… c’est ainsi ! » 

 

Sans le savoir, le Parrain est un candidat à la secte et c’est bien pourquoi il aime l’esthétique un brin mystique et réductrice de toute identité que véhiculent les groupes comme Urban Sax. Et c’est bien pourquoi il est Kaiser, bien que les Kaisers ne soient pas une secte, à son avis…

 

Le Parrain revenu de son monologue en forme de rêve éveillé:

« Mais, dites-moi, vous connaissez Urban Sax ? »

« Pas vraiment.S’cuse… ! » balbutie Polsky-Fal.

 

« Bon… », soupire, sinistre, le Parrain. « Et bien alors, passons aux choses sérieuses. Le Coca est ici et le whisky est là, sur l’autre étagère. C’est vous qui régalez. Voilà la caisse de la maison. Pour votre adhésion, vous connaissez la règle, je suppose ? La règle, c’est qu’il n’y en a pas. C’est le Parrain qui décide et qui ensuite propose les candidatures au bureau des Kaisers. On va passer un moment ensemble et puis, on verra. C’est bon, c’est clair? O.k. ! »

Sans-Nom remplit les trois verres et Polsky-Fal glisse l’argent dans la boîte.

« A votre santé ! » rugit le Parrain en rotant somptueusement. « Et sans tarder, je vous entraîne au coeur du vaisseau, les p’tits loups ! C’est mon oeuvre, c’est mon chef-d’oeuvre. On retourne au premier étage, dans la salle de concert, dans mon temple, le temple des quarante mille percussions. »

 

Tout en dévalant les escaliers qui les ramènent au premier étage, le Parrain continue son discours :

 

« Je vais vous interpréter ma  symphonie des mouches. Vous connaissez ? Non, bien sûr. Et Bel, le roi des mouches, vous connaissez ? C’est le premier mouvement de mon concert de ce soir que je vais vous offrir. Je joue ça avec toutes sortes de petits instruments très fins, des grattoirs en métal, de grands clous, des petits os d’animaux, des brosses en chiendent. C’est génial, vous verrez. Alors,… vous ne connaissez pas Bel, le dieu des mouches ? C’est une espèce de dieu babylonien. Il paraît même que c’est une figure du diable ! Mais… bon… On joue, hein. On s’amuse, quoi ! »

« Ah ! Bien… », fait Polsky-Fal.

 

« Mais, dis-moi », questionne Sans-Nom, « d’où te viennent de telles idées pour tes concerts ? »

 

Le Parrain: «Ch ’sais pas. Disons que ça m’attire, que ça me plaît. C’est fort et puis, « Symphonie pour Bel, dieu des mouches », c’est quelque chose comme titre, non ? Note qu’il faut se méfier. Dans mes crises de cafard, il m’arrive de faire de ces choses… L’autre jour, après avoir été hurler ma haine aux tigres du zoo, je me suis retrouvé au milieu du parc, pas loin de la zone des Frenchies et je me sentais tellement seul, tellement démuni, avec cette terrible sensation de vide que l’on a dans le coeur parfois, vous savez… Alors, j’en ai conclu qu’il me fallait de la puissance et de la force pour combler tout cela. Quelque chose de surnaturel. C’est comme une folie qui m’a pris alors et je me suis senti bien pour quelques instants. Alors, comme il faisait drôlement sec depuis pas mal de temps un peu partout et que même l’étang du parc avait rétréci, j’ai crié des mots, des mots bizarres que je ne comprenais pas, pour qu’il pleuve. Et vous savez quoi ? Et bien, il a plu ! Ca m’a fait peur, parce qu’après je me suis senti encore plus seul et comme menacé, vraiment menacé. Par quoi, je ne sais pas, mais menacé, vraiment menacé…

                                       Mais tu me poses des questions bien personnelles. C’est chouette de s’intéresser ainsi au Parrain. A retenir ça. Un bon point mamzelle! Bien ! On y va pour le concert ? Vous avez vos bougies ? Non ? Ah ! C’est dommage. Ce soir, il faudra venir avec vos bougies et allumées dès l’entrée, s’il vous plaît ! Ah ! Vous devriez voir ça quand à la lueur de deux  cents cinquante bougies nous dansons, mes comparses et moi, avec nos tonneaux ficelés aux pieds ! La messe des quarante diables! Yahoo! »

 

« Hellooouuuw ! C’est l’heure ! Et c’est notre tour ! » débitent en cœur, fausses timides, les deux jumelles qui viennent d’apparaître dans l’embrasure de la porte.

 

Elles sont anglaises, se coiffent de la même natte, du même ruban vert fluorescent. Elles s’habillent de la même mini-jupe en cuir noir. Elles se chaussent des mêmes chaussures à hauts talons roses. L’une, c’est Betty Bop, l’autre, c’est Bop Betty. Elles ont les mêmes taches de rousseur.

 

« Ah ! Mais voilà mes petites Anglaises, je les avais oubliées », s’exclame le Parrain.

 

« Je vous présente ma nouvelle fo-fo, ma nouvelle fo-fo, ma nouvelle folie. »

 

Il chantonne, baroque et rauque. « C’est la continuation de mon syndrome  Urban Sax , comme le dit si joliment mon pote Dreyfus. Elles viennent pour la répétition. Mais, vous savez, ce sera mieux qu’Urban Sax. Car je cherche à recruter des jumeaux, de vrais jumeaux, un troupeau de jumeaux qui s’habillent pareil, parlent pareil et qui joueront pareil, au même endroit, au même moment, un même ballet. Autour de moi s’entend… et de ma  symphonie des mouches, of course. Génial, non ? »

 

Long silence.

 

Le parrain:  « Bien, vous deux, je vous ai assez vus. C’est quoi vos noms, déjà ? »

Polsky-Fal: « Moi, c’est Polsky… Elle c’est Sans-Nom. »

 

Le Parrain; «  Sans blague? Sans-Nom? Bon, va pour Sans-Nom ! Pour l’adhésion, on verra ça. Mais ça ira, ça ira ! Revenez ce soir pour le concert. Ca, c’est obligatoire, évidemment. Et voici deux invitations pour le festival inter-tribus qui se déroulera ici le week-end prochain. Le festival sera parrainé par les Kaisers associés aux Jovens, aux Slivovitchs, aux Frenchies et aux Lucie’s. Toutes les tribus, dans chacun des cercles de la ville, sont invitées.  

 

Vous en serez? 

 

Allez zou là, du balai!»

 

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