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La Lituanie imite la Pologne et propose sa loi controversée sur la Shoah Le gouvernement prépare un projet de loi qui stipule que ni la Lituanie ni ses dirigeants n’ont participé au génocide ; les survivants et les historiens affirment le contraire

By 15 janvier 2020Le mot du jour

Le Premier ministre Saulius Skvernelis de Lituanie, en 2016. Il dirige la c ommission chargée de rédiger la législation déclarant que ni la Lituanie ni ses dirigeants n'ont participé à la Shoah. (Crédit : Petras Malukas/AFP)

Le Premier ministre Saulius Skvernelis de Lituanie, en 2016. Il dirige la c ommission chargée de rédiger la législation déclarant que ni la Lituanie ni ses dirigeants n’ont participé à la Shoah. (Crédit : Petras Malukas/AFP)

L’an dernier, la Pologne adoptait une loi controversée qui lui a valu des critiques à l’international et a nui à ses relations avec Israël, les États-Unis et les groupes juifs du monde entier. Nombreux étaient ceux qui craignaient que cette loi, qui interdisait d’évoquer la complicité des Polonais dans les crimes nazis – car le pays était sous occupation nazie, selon ses dirigeants – entraverait l’éducation et la recherche historique sur le génocide.

Ces craintes ne se sont pas estompées depuis l’adoption de cette législation. En dépit de multiples tentatives d’enterrer la hache de guerre, le président polonais Andrzej Duda s’est désolidarisé la semaine dernière d’une commémoration de la Shoah à Jérusalem.

L’un de ces pays est la Lituanie, où la complicité nazie était répandue, ce qui explique comment 95 % des 250 000 Juifs du pays ont été exterminés, selon des instituts de recherches internationaux sur le génocide.

Pour tenter de s’opposer à cette version, un député lituanien du parti du Premier ministre Saulius Skvernelis a annoncé le mois dernier qu’une commission qu’il supervise rédigeait une loi déclarant que ni la Lituanie ni ses dirigeants n’avaient pris part à la Shoah.

« L’État lituanien n’a pas participé à l’Holocauste parce qu’il était occupé, tout comme la nation lituanienne n’a pas participé à l’Holocauste parce qu’elle était asservie », a déclaré le député Arunas Gumuliauskas.

Pour Rosa Bloch, une survivante du ghetto de Kovno âgée de 91 ans, ces affirmations sont « tellement fausses et scandaleuses qu’elles ne peuvent qu’être le produit de la loi polonaise », a-t-elle dénoncé auprès la Jewish Telegraphic Agency.

« Les Lituaniens ont vu que cela a fonctionné pour les Polonais, donc ils les ont suivis », a-t-elle poursuivi.

Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki arrive lors d’un sommet informel de l’UE à Salzburg, en Autriche, le 20 septembre 2018. (Crédit : AP Photo/Kerstin Joensson)

L’initiative lituanienne est peut-être même plus troublante que celle de Varsovie, pour Rose Bloch, « parce que les Lituaniens étaient des partenaires actifs et cruels pendant la Shoah. Il n’y a pas un Juif lituanien vivant qui n’a pas perdu un proche, tué par les Lituaniens », a-t-elle expliqué.

La causalité entre la loi polonaise et le projet de loi lituanien observée par Rose Bloch et tant d’autres est difficile à établir, mais les deux initiatives sont clairement liées.

En septembre, Gumuliauskas a organisé une rencontre avec des députés polonais sur la mémoire historique, citant ce qu’il a décrit comme un défi commun.

« Aujourd’hui, les relations lituano-polonaises sont bonnes, mais des parties tierces tentent de nous renverser par le prisme de la mémoire historique », avait-il dit dans une interview au sujet de cette rencontre. Arunas Gumuliauskas n’a pas nommé ces tiers.

Cette rencontre, a-t-il ajouté, visait à « promouvoir la coopération entre les historiens des deux pays, à la poursuite de buts communs ».

Quelle que soit la relation exacte entre les pressions polonaises et lituaniennes en faveur de la disculpation – le parlementaire n’a pas répondu à la question de la JTA à ce sujet – elle relève d’un effort plus large de la part des nations d’Europe de l’Est pour souligner le statut de victime de leur population et contredire ou diminuer les allégations de complicité dans la Shoah.

Si les sociétés d’Europe occidentale ont de plus en plus assumé la responsabilité de la persécution de leurs Juifs, c’est le contraire qui s’est produit dans les nations d’Europe de l’Est, où l’éducation liée à la Shoah était largement absente ou déficiente sous le régime communiste.

Nombreux sont ceux qui, en Europe de l’Est, justifient aujourd’hui la collaboration de leurs compatriotes avec l’Allemagne nazie comme le seul moyen qu’ils avaient pour « obtenir l’indépendance de l’Union soviétique » plutôt qu’une réelle motivation à tuer des Juifs, a déclaré à la JTA Michael Berenbaum, ancien directeur de l’institut de recherche du Musée américain de la Shoah. Il estimait également que la loi polonaise « encourageait » les politiciens d’autres pays à chercher à obtenir une législation similaire.

Dans un contexte de montée du nationalisme à travers le continent, les gouvernements de nombreux pays d’Europe de l’Est célèbrent désormais les collaborateurs nazis, y compris les auteurs de la Shoah, comme des héros patriotiques.

Adolf Hitler dans ce qui est devenu aujourd’hui Klaipeda, en Lituanie, en mars 1939. (Crédit : Berliner Verlag/Archiv/picture alliance via Getty Images, JTA)

En Ukraine, le Parlement a adopté en 2015 une loi qui fait l’éloge des « partisans anticommunistes », y compris des collaborateurs nazis, et qui criminalise les « insultes » à leur mémoire. Des rues y sont nommées en l’honneur de collaborateurs tels que Stepan Bandera et Roman Shukhevych, entre autres.

En 2014, la Lettonie a introduit une loi qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour ceux qui nient le rôle des « puissances étrangères qui ont perpétré des crimes contre la Lettonie et la nation lettone », sans mentionner l’implication des volontaires SS lettons dans le meurtre de la quasi-totalité des 70 000 Juifs du pays. Les vétérans SS allemands défilent chaque année dans les rues de la capitale Riga, flanqués de militants ultranationalistes.

Des anciens combattants de la Légion lettone, une force commandée par les Waffen-SS nazis allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, et leurs sympathisants portent des drapeaux et des affiches alors qu’ils se rendent au Monument de la liberté à Riga, Lettonie, le 16 mars 2019. (Ilmars ZNOTINS / AFP)

En Lituanie, une école porte le nom de Jonas Noreika, un dirigeant de guerre qui a contribué au massacre de Juifs.

Dans ce contexte, la législation proposée en Lituanie est un ballon d’essai et « la prochaine étape dans la distorsion de la Shoah en Europe de l’Est », a déploré Efraim Zuroff, le directeur du Centre Simon Wiesenthal pour l’Europe de l’Est qui, ces dernières années, s’est concentré sur l’histoire de la Shoah et le révisionnisme en Lituanie.

Si une nation avec un passé aussi lourdement lié à la Shoah que la Lituanie adopte une loi qui l’exonère sans retombées diplomatiques significatives, « cela pourrait être un signe terrible pour les autres », a suggéré Efraim Zuroff.

Ruta Vangaite, autrice lituanienne à succès ayant écrit sur la Shoah, considère que la loi serait une « mascarade ».

Le chasseur de nazis Efraim Zuroff, directeur du centre Simon Wiesenthal, durant une interview accordée au Times of Israel, le 17 août 2017. (Crédit : Raphael Ahren/Times of Israel)

« Dès la première semaine d’occupation, le gouvernement lituanien a créé le premier camp de concentration et constitué un bataillon qui a tué des Juifs. C’était le gouvernement lituanien. Et tout le monde le sait », a-t-elle relaté.

La brutalité remarquable des pogroms antisémites en Lituanie est un autre défi pour les architectes de la loi. L’un des plus tristement célèbres s’est produit à Kovno, où des dizaines de Juifs ont été massacrés par des gens du pays qui brandissaient des gourdins dans un dépôt de bus. Certains auteurs ont posé pour des photos sur les corps torturés de leurs victimes tout en exhibant les armes du crime.

D’un point de vue historique, la Pologne a des arguments bien plus solides que la Lituanie pour s’opposer aux allégations de complicité dans la Shoah, estime Efraim Zuroff.

Dans les deux pays, a-t-il expliqué, la Shoah n’aurait pas eu lieu sans les Allemands. Et dans les deux pays, les habitants ont tué des milliers de Juifs pendant l’occupation nazie.

Mais la Pologne « n’existait pas en tant que pays » quand les nazis l’ont occupée, et son gouvernement en exil « n’a pas encouragé les actions contre les Juifs ». En Pologne aujourd’hui, les expressions d’admiration pour les collaborateurs nazis sont assez rares.

En revanche, le gouvernement provisoire collaborationniste de Lituanie a été responsable d’innombrables meurtres au cours des six semaines de sa brève existence.

Le langage utilisé par les principaux historiens de la Shoah au sujet des deux pays reflète cette différence.

Au sujet de la Pologne, Sara Bloomfield, directrice du Musée américain du Mémorial de la Shoah, a écrit l’année dernière dans une lettre adressée au président du pays que « la nation polonaise a été victime de l’agression allemande et a subi une occupation exceptionnellement brutale. Les caractérisations – dues soit à l’ignorance, soit à la malveillance – de la responsabilité polonaise dans l’établissement des camps de concentration et de mort nazis sont incontestablement historiquement inexactes ».

Elle a également mentionné les nombreux Polonais ayant sauvé des Juifs aux côtés de nombreux autres qui ont contribué à leur élimination.

Yad Vashem, le mémorial et le musée de la Shoah d’Israël, écrit à propos de la Pologne que « le grand public polonais, confronté à une occupation impitoyable et engagé dans une lutte constante pour l’existence, n’a guère prêté attention à la détresse immensément plus grande » des Juifs.

Les deux musées utilisent une terminologie différente au sujet de la Lituanie.

« Les Lituaniens ont mené de violentes émeutes contre les Juifs peu avant et immédiatement après l’arrivée des forces allemandes », peut-on lire dans un résumé du Musée américain de la Shoah, qui souligne que la plupart des Juifs du pays ont été fusillés pendant la brève durée de vie du gouvernement Quisling.

Après le massacre de Kovno en Lituanie (ou à Kaunas) en juin 1941, perpétré par des Lituaniens pro-allemands (domaine public)

La Lituanie est le seul pays occupé par les nazis dont Yad Vashem a noté « l’enthousiasme » de son peuple pour la collaboration avec l’Allemagne. Même lorsque cet enthousiasme « s’est apaisé … l’hostilité envers les Juifs et la dénonciation ont persisté », indique le musée de Jérusalem.

Efraim Zuroff appelle le gouvernement lituanien à faire face à ce bilan.

« Alors que les organisations non gouvernementales effectuent un important travail de commémoration, l’essentiel de l’éducation sur la Shoah se fait dans le système scolaire et en poursuivant les auteurs de la Shoah », dit-il. « Ce sont des choses que seul un gouvernement peut faire ».

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