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Le professeur Feuerstein

By 1 mai 2014mai 2nd, 2014Etz Be Tzion
Le professeur Reuven Feuerstein z”l s’est éteint aujourd’hui, en guise d’hommage je remets en ligne cet interview (Danilette)


Note d’Etzbetzion : le travail effectué au Centre du professeur Feuerstein en Israël est extraordinaire. On y vient de partout, même de l’étranger. Nous connaissons personnellement des parents qui ont un enfant handicapé qui fait de gros progrès depuis qu’il fréquente ce centre. Par ailleurs, sur ce site, nous avions publié un article d’une jeune maman juive française dont le fils est autiste et qui raconte l’expérience magnifique vécue par son fils depuis qu’elle l’a amené en Israël pour qu’il soit suivi dans ce centre. Cet enfant ne parlait pas, maintenant c’est chose faite ! Lisez cet article !

Né en Roumanie, Reuven Feuerstein y commence ses études.  En 1944, il émigre en Israël où il travaille pour l’organisation «Aliayat Ha’noar».  De l950 à 1955, il reprend ses études à l’université de Genève, sous la direction de Jean Piaget et d’André Rey.  En 1965 il fonde, avec le Dr Krasilowsky et Mr Tuchman, l’unité de recherche qui devient l’Institut Hadassah­-Wizo-Canada, à Jérusalem.  En 1970, il obtient son doctorat en psychologie du développement à La Sorbonne. En 1993, il devient directeur du Centre international pour le développement du potentiel d’apprentissage (ICELP), dérivé de l’institut Hadassah-Wizo-Canada.  Ce centre, destiné à l’évaluation et à l’éducation des jeunes présentant des retards intellectuels, est l’aboutissement de plus de 40 ans de recherches novatrices, Reuven Feuerstein a été professeur en psychologie de l’éducation à l’Université Bar-Ilan en Israël et à la Vanderbilt University aux Etats-Unis.  Il a publié de nombreux ouvrages et articles scientifiques.  Sa théorie et ses méthodes sont étudiées dans le monde entier.  Il est docteur honoris causa de l’université de Turin.  Au cours de sa carrière, il s’est vu décerner de nombreuses distinctions, dont le prestigieux «Prix d’Israël pour l’éducation». D’innombrables publications (articles, livres, thèses) et des centaines de colloques s’appuient sur ses travaux.

Professeur Feuerstein, tout votre travail et celui de votre équipe repose sur une croyance en la possibilité qu’a tout individu de changer, quel que soit son handicap. D’où vous vient cette certitude ?

Que n’importe quel être humain puisse changer – pour le bien ou pour le mal car les deux possibilités existent – est pour nous un postulat de départ.  Et il est vrai qu’un postulat est plus près d’une croyance que d’une preuve scientifique.  Cette croyance en la « modifiabilité» de l’être humain est fondamentale car elle génère le besoin de changer.  Je m’explique.  Si votre enfant souffre d’un retard de développement plus ou moins grave, et que vous ne croyez pas que l’on puisse y remédier, vous ne ressentirez pas le besoin d’un changement et vous ne ferez rien pour qu’un tel changement ait lieu.  Si par contre vous y croyez, votre besoin de voir votre enfant changer, se développer, progresser va vous pousser à agir dans ce sens.  La croyance est en quelque sorte la force énergétique qui nous fait entreprendre tout ce qui est en notre pouvoir pour amener le changement ressenti comme un besoin.

De plus, cette croyance crée chez moi une responsabilité envers mon prochain.  Car s’il est vrai que nous pouvons modifier l’être humain pour le bien, cela devient un droit pour cette personne d’être modifiée et notre devoir de faire en sorte qu’elle se modifie.  Notre approche, qui dit que I’être humain est modifiable, nous rend responsable de la qualité de vie de cet être humain.

Vous niez donc le déterminisme biologique?

Non.  Nous disons que I’être humain a une double ontogénie.

L’ontogénie biologique: il est un ensemble de cellules qui interagissent entre elles et avec l’environnement, et l’ontogénie socioculturelle: il est formé par le milieu avec lequel il interagit.  Et cette ontogénie socio-culturelle peut modifier, beaucoup plus souvent qu’on ne le pense, le déterminisme biologique.  Nous en avons d’ailleurs des preuves, qui nous viennent des neurosciences.  Celles-ci démontrent en effet que les conditions neurologiques de l’être humain peuvent être transformées de manière radicale.

Est-ce la raison pour laquelle vous vous opposez aux diagnostics précoces ?

Je m’élève contre les diagnostics précoces lorsqu’ils enferment l’enfant dans une catégorie à laquelle il lui sera par la suite difficile d’échapper et lorsqu’ils empêchent toute action susceptible de modifier ce diagnostic.  Cet enfant ne parle pas ? Mais que voulez-vous ? Vous savez bien qu’il ne peut pas parler puisqu’il est ceci, cela ou autre chose ! Cette prédiction est dangereuse car elle est déjà tout un programme de « non-faire », si je puis dire.  On renonce d’avance à toute stimulation – physique et intellectuelle – qui pourrait produire un changement.  C’est contre ce pessimisme que nous luttons.  Ces enfants, à qui l’on prédit qu’ils resteront des «idiots» toute leur vie, sentent bien dans leur expérience intime qu’ils peuvent faire beaucoup plus que ce qu’on leur permet de faire.  J’ai vu des enfants hospitalisés qui entraient dans des états presque psychotiques simplement parce qu’ils se révoltaient contre les stéréotypes qu’on leur attribuait.  C’est ce que j’appelle le «syndrome du roi Salomon et du cordonnier». Non, je ne suis pas le cordonnier que vous imaginez, essaient-ils de nous dire.  Je suis Salomon et je peux accomplir une multitude de choses

S’il est vrai que nous pouvons modifier l’être humain pour le bien, cela devient un droit pour cette personne d’être modifiée et notre devoir de faire en sorte qu’elle se modifie.

Le concept de médiation est central dans votre pensée, puisque c’est la médiation qui induit le changement. On pourrait vous dire que vous n’avez rien inventé et que les médiateurs existent depuis qu’existent de bons enseignants …

La médiation n’est rien d’autre qu’une qualité d’interaction entre le médiateur et la personne – enfant ou adulte – avec laquelle il travaille.  L’enseignant a des informations à transmettre, c’est sa mission principale.  Le médiateur, lui, est moins soucieux du contenu que de la démarche grâce à laquelle il va rendre l’enfant perméable aux expériences, et l’engager dans un processus où il sera capable d’apprendre et de comprendre.  Cette interaction pour qu’elle soit de qualité et puisse produire des changements – doit répondre à des critères bien précis, en particulier ce que nous définissons comme l’intentionnalité, la transcendance et la signification.  La médiation est finalement ce qui rend l’homme humain.  A travers elle, nous recevons nos modalités de vie, de pensée et d’apprentissage.

La médiation est finalement ce qui rend l’homme humain. A travers elle, nous recevons nos modalités de vie, de pensée et d’apprentissage.

 

On a tendance à penser que le développement psychologique de l’enfant conditionne ses performances dans le domaine cognitif.  Il semble que vous teniez le raisonnement inverse, à savoir que le bien-être de l’enfant dépend de ses capacités à réaliser son potentiel cognitif.  Ici, je suis les traces de mon grand maître Piaget.  Selon lui, tout acte physique ou mental contient à sa base les deux éléments, cognitif et émotionnel.  Nous croyons en effet que le facteur cognitif est en quelque sorte le magma, la force qui sous-tend la matière.  Nous ne négligeons absolument pas les aspects émotionnels.  Au contraire.  Nous créons les conditions qui permettront de générer de nouveaux sentiments.  L’enfant arrivera beaucoup mieux à comprendre, contrôler, affiner ses sentiments s’il peut raisonner et utiliser ses capacités cognitives de façon optimale.

Les détracteurs de votre méthode soutiennent que l’investissement en argent, en temps et en personnel par enfant est trop élevé…

Les résultats obtenus ne sont directement mesurables ni par le coût ni par le nombre d’heures passées auprès de l’enfant, ni par le nombre de professionnels impliqués.  Si vous faites d’un enfant qui au départ, ne peut pas communiquer un être capable de s’intégrer dans la société, comment évaluer le rendement de cet investissement ? La question du coût et des résultats est une question de valeur qui doit être discutée en tenant compte de ce qu’il adviendrait si cet investissement n’avait pas été fait.

Quel est le coût pour la société de la prise en charge pendant toute sa vie d’un individu pour lequel rien n’aurait été fait ?

Nous ne pouvons pas offrir nos services directement à de grandes masses de population.  Ce que nous voulons, c’est développer et répandre nos propres modèles de traitement, assez convaincants pour être réutilisés ailleurs et par d’autres professionnels.  Nous avons abondamment démontré que les enfants déficients peuvent être intégrés dans les écoles.  Notre travail sur la réhabilitation cognitive des personnes atteint au cerveau est à l’origine de tout un programme mené actuellement aux Etats-Unis et auquel nous sommes associés.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Institut Feuerstein ? 

Ce n’est pas pour moi un sujet de préoccupation.  Notre méthode fait ses preuves.  Son efficacité est maintenant reconnue dans le monde entier, La théorie de la modifiabilité cognitive a permis d’agir sur une population qui était abandonnée ou négligée par la médecine et la société.  L’équipe actuellement en place est formée de mon fils, vice président de l’ICELP, et de professionnels éminents, dont les compétences sont reconnues internationalement. Ils sont tous parfaitement aptes à poursuivre sans moi tous nos travaux, aussi bien dans l’application que dans la recherche.  Et j’ai aussi toute confiance en cette équipe et en mon fils Raphaël pour maintenir l’esprit qui est au cœur de notre mission.

Source : www.javance.org/feuerstein.htm

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  • Rivka dit :

    Merveilleux! Cette foi dans les capacités de développement et d’apprentissage de l’être humain quels que soient son handicap ou ses difficultés, ne peut qu’apporter, non seulement des résultats, mais encouragement et espoir chez les parents et éducateurs.
    Merci pour ce témoignage

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