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Le « Schindler » letton, ouvrier et pauvre, qui sauva des dizaines de Juifs

By 23 août 2019mai 13th, 2020Lève-toi !

Le drame “The Mover” raconte l’histoire de Žanis Lipke, parvenu à transporter et à cacher 60 Juifs avec des moyens plus que limités, et risquant l’exécution par les nazis

  • Žanis Lipke (Crédit : domaine public)
    Žanis Lipke (Crédit : domaine public)

Sous le régime d’occupation nazi, pendant la Seconde Guerre mondiale, la population juive de Lettonie a été décimée à travers les ghettos, les massacres et les déportations. Empirant la situation, des Lettons ont collaboré avec les Allemands – un héritage trouble qui laisse derrière lui aujourd’hui encore des tensions persistantes.

Et pourtant, un Letton devait gagner la reconnaissance internationale pour avoir sauvé des Juifs qui se trouvaient aux mains des nazis. A la fin de la guerre, Žanis Lipke avait sauvé environ 60 Juifs, les abritant dans un bunker situé sous son habitation. Lipke a été reconnu comme Juste parmi les nations par le mémorial de Yad Vashem et son histoire est racontée dans un nouveau film letton, « The Mover ».

Réalisé par le réalisateur letton Davis Simanis, « The Mover » a été projeté en première nationale aux Etats-Unis lors du festival du film juif de Washington, au mois de mai, et il sera présenté aux amoureux du grand écran lors des festivals du film juif de Varsovie et de Berlin. Il est basé sur le roman letton Un garçon et un chien, qui avait été écrit à deux mains par Inese Zandere et Reinis Pētersons.

Dans un courriel adressé au Times of Israel, Simanis qualifie « The Mover » de « toute première oeuvre cinématographique consacrée à la Shoah dans les États baltes ».

Žanis Lipke (Crédit : domaine public)

Simanis, qui se définit lui-même comme un luthérien fréquentant rarement le temple, explique que lorsque la Lettonie faisait partie de l’URSS, les autorités avaient dissimulé l’histoire de Lipke, Ce récit était resté dans la clandestinité pendant la première décennie de l’indépendance. Plus tard, à l’université, Simanis avait appris davantage au sujet de l’histoire des Juifs en Lettonie et de Lipke.

Pour Simanis, ce récit est « une histoire surprenante, marquée par beaucoup de courage, d’humanité et, en même temps, de la violence et des éléments de suspense. Cela a été un choc pour moi que personne n’ait parlé de lui auparavant ».

C’est la lecture du livre Un garçon et un chien qui a poussé Simanis à s’engager dans le processus de réalisation du film, qui a duré trois ans. Il montre le courage affiché par Žanis Lipke et son épouse Johanna, des habitants de Riga, la capitale, avec leurs trois enfants – leur fille Aina, leur fils aîné Alfreds et le cadet, Zigfrids — lorsque les nazis avaient envahi, au cours de l’été 1941, le pays et qu’ils avaient mis en oeuvre leurs politiques antisémites meurtrières.

Selon les estimations, 94 000 Juifs vivaient en Lettonie avant la Seconde Guerre mondiale. Mais quelques milliers seulement devaient survivre à la Shoah, selon le musée de commémoration de l’Holocauste américain – avec notamment 26 000 morts au cours du seul massacre de triste mémoire de Rumbula, en 1941.

Lipke avait vu personnellement les Juifs emmenés à l’abattoir, ce jour-là, une scène éprouvante dépeinte dans le long-métrage.

« La principale question que je me posais en préparant le script, en réalisant le film, est comment est-il possible pour quelqu’un de voir quelque chose d’inhumain se produire, de décider de faire quelque chose », explique Simanis via Skype, « tout en sachant en même temps que faire quelque chose peut être fatal pour votre famille ou créer une menace certaine pour ceux qui vous sont les plus proches dans la vie ».

Daina Eglitis, professeure-adjointe de sociologie et d’affaires internationales à l’université George Washington et experte de la Shoah dans les pays baltes, a vu l’oeuvre lors du festival du film juif de Washington.

« J’ai pensé que le film était très bon », écrit Eglitis dans un courriel. « Il est clair que Lipke et son épouse méritent d’être reconnus pour leur formidable courage. Il faut aussi noter qu’ils ont fait des sacrifices et qu’ils ont pris des risques énormes malgré les pertes qu’eux-mêmes avaient subies et qui sont montrées dans le film ».

Comme le remarque Eglitis, « leur fille a été évacuée avec les Soviétiques lorsque les Allemands sont arrivés et leur fils aîné a dû s’engager dans l’armée allemande. Ils ont choisi de passer à l’action malgré les dangers et en dépit de leur propre souffrance. Peu d’autres gens ont fait cela ».

« Žanis Lipke était certainement un héros improbable », ajoute Eglitis, « C’était un Letton issu de la classe ouvrière, un docker qui avait un petit casier judiciaire pour contrebande ».

Lipke — interprété par l’acteur letton reconnu Arturs Skrastins — se sent initialement impuissant et incapable d’intervenir, même quand une connaissance juive et sa fille, une amie de Zigfrids, sont confinées dans le ghetto de Riga. Et pourtant, Lipke réalise que tandis que sa chance de leur venir en aide est passée, il peut en aider d’autres.

La star lettone Arturs Skrastins, à gauche, interprète Zanie Lipke, héros letton de la Shoah devenu Juste parmi les nations, dans le nouveau film historique dramatique « The Mover » (Autorisation : Festival du film juif de Washington)

Notant qu’environ 10 % de la population de Riga était juive, Eglitis déclare qu’il « est probable qu’il ait eu des voisins, des connaissances ou des collègues qui étaient juifs. Mais on peut dire la même chose de tous les Lettons de Riga et vivant dans les autres centres urbains, comme Daugavpils et Liepaja, où il y avait d’importantes communautés juives historiques. Et les liens et les contacts seuls ne peuvent donc pas expliquer les initiatives qu’il a prises ».

Dans le long-métrage, Lipke décide tout d’abord d’abriter des Juifs dans un cinéma qui, de façon ironique, avait commencé à diffuser des films de propagande nazie. Un plan trahi par un collaborateur des Allemands et qui devait entraîner la mort des Juifs qui y avaient trouvé refuge.

Selon Simanis, la question des collaborateurs n’a pas été « un élément central dans notre film, même si nous avons voulu, en même temps, qu’il soit intégré dans l’histoire. Les soldats lettons ont participé aux exécutions. Certains se sont également rendus coupables de trahison, du genre à indiquer à l’occupant qu’il y avait une mission de sauvetage de Juifs qui était en cours ».

Dans la vraie vie, un collaborateur avait donné des informations sur Lipke, entraînant la mort de plusieurs Juifs qu’il abritait et d’un Letton qui les aidait. Aujourd’hui, les vétérans des divisions SS lettones qui avaient fait campagne contre l’URSS continuent à organiser des cérémonies de commémoration.

« Ce qui a caractérisé la majorité des Lettons pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est probablement une combinaison de crainte, d’indifférence et de suspicion », dit Eglitis.

Une image du nouveau drame historique letton consacré à la Shoah, « The Mover », qui a été diffusé en première américaine au Festival du film juif de Washington (Autorisation : Festival du film juif de Washington)

« Il y a eu un petit nombre, significatif toutefois, de collaborateurs avérés ayant pris directement part aux violences, notamment ces Lettons qui avaient volontairement rejoint le célèbre commando Arajs et qui montaient la garde dans les ghettos », poursuit-elle.

« Il y avait aussi ceux qui ne s’engageaient pas directement dans les violences mais qui, par exemple, révélaient aux soldats allemands les lieux où vivaient les Juifs. C’est quelque chose que j’ai beaucoup entendu dans les témoignages des survivants : C’était les Lettons qui savaient où se trouvaient les familles juives, pas les Allemands. Et il y a eu aussi ces gens, nombreux, qui n’ont rien fait – ils n’ont pas collaboré, ils n’ont pas secouru. Ils sont restés discrets », explique-t-elle.

Pour Eglitis, il est « difficile de savoir combien de Lettons ont porté secours ». Elle remarque que « le Musée Juif, en Lettonie, estime que plus de 400 Juifs ont été sauvés dans le pays et il y a donc aussi certainement d’autres sauveteurs qui sont restés peu connus ».

Néanmoins, dit-elle, « Lipke s’est détaché des autres par son courage et par le nombre de Juifs qu’il était parvenu à cacher ».

Le film dépeint le plan ourdi par Lipke – créer un refuge dans un bunker, situé sous une remise de son habitation. De façon incroyable, il parvient à s’infiltrer à de multiples reprises dans le ghetto de Riga, se présentant comme un superviseur de corvées, pour en extraire des Juifs, qu’il abrite dans le bunker. Johanna subvient aux besoins alimentaires des réfugiés, elle leur donne des vêtements, mais chacun d’entre eux ne peut rester que plusieurs mois. Zanis s’efforce ensuite de les emmener dans d’autres lieux sûrs, à l’est.

La star lettone Arturs Skrastins, à gauche, interprète Zanie Lipke, héros letton de la Shoah devenu Juste parmi les nations, dans le nouveau film historique dramatique « The Mover » (Autorisation : Festival du film juif de Washington)

« Ces sauvetages individuels qu’il a faits étaient très durs à effectuer », indique Simanis. « Il ne s’agissait pas seulement de cacher les réfugiés dans le sous-sol, mais aussi de les transporter avec toute la logistique que cela impliquait ».

L’industriel allemand Oskar Schindler arrive à l’aéroport de Jérusalem, où il est honoré pour avoir sauvé plus de 1 000 juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. (Crédit : Keystone/Getty Images via JTA)

« Quand on pense aux Juifs sauvés en termes de nombre, on pense immédiatement à un homme bien connu comme Oskar Schindler ou à d’autres, qui ont sauvé la vie de milliers de personnes », réfléchit Simanis.

« Tandis qu’ils avaient d’emblée des capacités certaines – travailler dans un secteur professionnel précis, dans la diplomatie ou la politique pouvait aider – dans le cas de Zanis, c’était quelqu’un qui n’avait aucun moyen, aucune base pour sauver des Juifs… Il n’était personne, c’était un individu sorti de nulle part ».

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Avec seulement autour de lui quelques amis et sa famille pour lui venir en aide, Simanis qualifie ce qu’il est parvenu à réaliser à son niveau de « très important ».

Dans le film, les difficultés de Lipke augmentent. Des nazis suspicieux l’interrogent et fouillent sa maison. Certains Juifs, dans le bunker, souffrent de l’inaction et commencent à se quereller. Et les nazis préparent le massacre meurtrier de Rumbula. survenu dans la forêt de Rumbula et qui s’était déroulé sur plusieurs jours, d’abord le 30 novembre, puis le 8 et le 9 décembre 1941.

Le film montre Lipke regarder, impuissant, les files interminables de Juifs marchant, quittant Riga pour la forêt, et forcés à se déshabiller, laissant derrière eux des piles de vêtements. Simanis ne montre pas les meurtres tout en ne laissant aucun doute sur ce qui est en train de se passer. C’est, à ses yeux, l’une des scènes les plus dures du film.

Le massacre de triste mémoire de Rumbula, au cours duquel 25000 Juifs ont été tués en deux jours à la fin de l’année 1941, dans le film mhistorique dramatique « The Mover » (Autorisation : Festival du film juif de Washington)

« Tous les figurants – ils sont plus de 200 dans cette scène – avaient le sentiment que tout cela était réellement en train de se passer, presque en temps réel », raconte Simanis. « Il y a eu de vraies larmes… Ça a même été difficile pour l’équipe de tournage de rester à un niveau rationnel, de ne pas laisser l’émotion l’emporter… Cela a été une journée très dure pour que nous parvenions tous à nous concentrer sur le résultat ».

Eglitis cite Rumbula comme faisant partie de « l’impact excessivement dévastateur » de la Shoah sur la Lettonie, ajoutant que « les estimations varient, mais très peu parmi ceux qui sont restés sur le territoire letton ont survécu ». Elle souligne que « les nazis avaient également pris pour cible les membres du parti communiste et leurs sympathisants, les Roms, les personnes en situation de handicap ».

Lipke a continué à sauver des Juifs durant toute la guerre.

« En 1944, il restait des Juifs dans le ghetto, des ouvriers juifs qui travaillaient pour l’armée allemande », dit Simanis. « Il avait aussi essayé de libérer certains d’entre eux. Les choses devaient encore continuer ainsi pendant plus de trois ans ».

Après la libération de la Lettonie, la famille Lipke devait affronter de nouvelles difficultés. Aina avait été tuée par les Soviétiques et son corps sans vie avait été jeté dans une rivière. L’entrée dans le pays avait été refusée à Alfreds en raison de son service effectué auprès des Allemands. Il devait ensuite s’exiler en Australie.

Davis Simanis, réalisateur du nouveau film historique dramatique letton « The Mover » (Autorisation : Festival du film juif de Washington)

Et pourtant, cette famille remarquable devait continuer à sauver des vies.

Dans les années 1980, Žanis Lipke devait abriter une famille émigrée russe qui avait fui l’URSS, en route vers la liberté.

Le fils cadet, Zigfrids, devait devenir sauveteur sur les rives d’un fleuve et sauver 18 personnes de la noyade.

Les sauvetages effectués pendant la Shoah par Žanis Lipke devaient finalement être reconnus internationalement lorsqu’il avait été désigné comme un Juste parmi les nations.

« Il était presque né sauveur », dit Simanis. Et le film atteste de cela aujourd’hui.

« Le film transmet une sorte de message, disons, d’humanisation de l’héroïsme », explique Simanis. « C’est ce qu’a fait le personnage principal… sans aucun type de réflexion sur ce qu’il pouvait personnellement en tirer. Et ce type de films et de messages sont très importants aujourd’hui ».

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