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Pourquoi il faut voir le documentaire “Vie et destin du Livre noir” de Guillaume Ribot (Vidéo)

By 13 décembre 2020Le mot du jour

Diffusé le 13 décembre sur France 5, le film documentaire de Guillaume Ribot suit la trajectoire du Livre noir, ouvrage maudit qui documente la destruction des Juifs dans les territoires soviétiques…….Détails & Vidéo……

Une femme marchant seule au milieu des blés battus par le vent : ainsi s’ouvre, par ces images iconiques de la ligne générale d’Eisenstein, l’impressionnant documentaire de Guillaume Ribot, Vie et destin du Livre noir, la destruction des Juifs d’URSS, tandis qu’en off, une voix d’homme raconte le massacre auquel il a échappé par miracle, contrairement à sa femme, froidement abattue par des SS et jetée dans un fossé avec des milliers d’autres victimes.
Résolument optimistes dans le chef-d’œuvre soviétique de 1928, car annonçant la glorieuse moisson qui vient, ces plans deviennent ici glaçants, annonciateurs d’une catastrophe inéluctable.
Comme si la Terre se gonflait d’un mauvais présage. Comme si elle prenait une dernière fois son souffle avant d’être souillée.
Un récit choral 
C’est avec ce genre d’effets poétiques, toujours parfaitement exécutés, que Guillaume Ribot, ancien photographe de presse, auteur de plusieurs livres et de documentaires sur la Shoah, donne à son documentaire une onction cinématographique.
“Nous voulions utiliser les armes de la fiction, plutôt que ceux du documentaire classique. A la manière de ce qui se fait en littérature dans le rayon paradoxalement nommé “non-fiction””, nous confie Antoine Germa, le co-scénariste du film, également journaliste et historien.
“Pédagogique est le mot que nous tentions de fuir… Et je dois dire que nos interlocuteurs à France Télévisions nous ont suivis, et même encouragé sur cette voie “, ajoute-t-il d’un ton amusé au téléphone.
Pour exigeant qu’il soit, Vie et destin du Livre noir n’est toutefois pas aride ou inaccessible.
Au contraire : c’est un film sensible, incarné, profondément humain, qui favorise la dialectique à l’illustration. Un récit choral qui, sans les sempiternelles interviews en plan moyen (mais adossé au travail de l’historien Tal Bruttmann), se compose uniquement d’images d’archives et de films d’époque, montées avec une très grande finesse (par Svetlana Vaynblat).
Le récit de la Shoah s’est longtemps fondé sur l’idée lanzmanniene de l’absence d’images, “et ça a donné un chef-d’œuvre absolu”, explique Antoine Germa. Or beaucoup d’images, y compris des massacres, des camps d’extermination, des fosses communes, filmées par les Soviétiques ou saisies aux Allemands dans les territoires repris, existaient.
Mais elles furent recouvertes d’une chape de plomb stalinienne pendant un demi-siècle, avant d’être redécouverte à l’ouverture des fonds d’archives soviétiques, après la chute du mur.
“L’histoire du Livre noir est une histoire de terreur et d’amnésie”, prévient la voix de la comédienne Aurélie Petit en introduction.
Pour l’accompagner dans ce récit, dont elle est la narratrice, trois grands acteurs prêtent leur voix, et uniquement leur voix, aux trois personnages centraux : Denis Podalydès dans le rôle de Solomon Mikhoels, star du cinéma et directeur du théâtre juif de Moscou, ainsi que président du Comité Juif Antifasciste ; Hippolyte Girardot dans celui d’Ilya Ehrenbourg, journaliste et écrivain à l’origine du Livre noir, en quelque sorte le Malraux soviétique ; Mathieu Amalric, enfin, interprétant Vassili Grossman, célèbre écrivain soviétique, co-coordinateur du Livre noir, parfois décrit comme le Tolstoï du 20e siècle.
“Ce sont nos trois piliers”, justifie Germa, “respectivement un pilier iconique, un pilier humain, un pilier littéraire”.
A travers leurs correspondances et leurs écrits lus, se raconte donc l’histoire de ce livre unique, qui entrelace témoignages (recueillis sur le front) et fictions, mille pages pour faire état du massacre par les nazis d’un million et demi de Juifs dans les territoires d’Union Soviétique envahis.
Outre sa rédaction épique, ce qui donne sa spécificité au Livre noir, c’est son oubli.
Ou plutôt son enterrement, par Staline, au sortir de la guerre. Dévoré par un antisémitisme et une paranoïa grandissante, retranché derrière le rideau de fer, mécontent de la tournure prise par l’ouvrage (qui insiste trop, selon lui, sur le martyr des Juifs, plutôt que sur celui des communistes), le dictateur n’en autorise pas la publication.
Et commence à s’acharner sur ses auteurs. Beaucoup finissent emprisonnés, exécutés (notamment lors de la “nuit des poètes assassinés” en 1952) ou, dans le meilleur des cas, exilés.
Mikhoels, s’il n’a pas écrit une ligne du livre, en a assuré la promotion à l’étranger. Et Antoine Germa rappelle que “si l’histoire du cinéma l’a oublié, c’était une immense star en URSS, un véritable Charlie Chaplin local.
Ses films ou encore ses représentations filmées (par exemple son Roi Lear) sont des chefs-d’œuvre”.
Devenu gênant pour Staline, il est victime d’un assassinat maquillé en accident de voiture, à Minsk en 1948. Ehrenbourg, lui, s’en sort mieux, en courbant l’échine pour échapper aux purges.
“C’est une figure complexe, trouble”, insiste le scénariste, “ce qui le rend très humain. C’est quelqu’un qui aimait la vie, qui n’était pas prêt à se sacrifier et qui composa de ce fait avec le régime. Mais en même temps, il avait un certain sens de l’honneur. Il a soutenu Soljenitsyne à la fin de sa vie par exemple”.
Un texte finalement publié en 1993
Quant à Grossman, traumatisé par ce qu’il voit pendant la guerre (il fait parti des premiers à ouvrir le camp d’extermination de Treblinka), meurtri par l’assassinat de sa mère par les nazis, il refuse d’abandonner le projet, et s’oppose au régime. Il échappera aux purges, mais tombera dans un relatif oubli, mourant exilé, pauvre et malade en 1964, pour n’être redécouvert qu’après la chute du Mur. “Il n’existe pratiquement plus d’images de Grossman”, explique Germa. “Essentiellement une poignée de photos, possédées par son fils. C’était donc un défi de l’incarner à l’écran, et la voix d’Amalric, qui s’est considérablement impliqué, joue un rôle considérable”. Et en effet, cette voix hante, longtemps encore après avoir vu le film.
Ce sont les épreuves personnelles de Grossmann qui, retrouvées dans les années 90, serviront à la publication du Livre noir en 1993, d’abord en Lituanie, puis en France (chez Actes Sud).
Clôturant un demi-siècle d’attente. Avec ce film, une nouvelle vie lui est donnée, ainsi qu’à tous ceux impliqués dans la rédaction de ce témoignage essentiel.
Un documentaire de Guillaume Ribot, avec Denis Podalydès, Hippolyte Girardot, Mathieu Amalric,  France, 1h32, 2019
Diffusé le dimanche 13 décembre à 22h40, La case du siècle sur France 5
 

Source Les Inrocks

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